Les sanctions économiques contre la Russie se multiplient et pourraient bien toucher le secteur énergétique. Face aux menaces d’embargo, le ministre russe de l’Energie a évoqué la possibilité de fermer le gazoduc Nord Stream 1, essentiel à l’approvisionnement en gaz de l’Europe.
La Russie pourrait stopper la livraison de gaz vers l’Europe
Le vice-Premier ministre russe, Alexander Novak a déclaré que la Russie pourrait couper les livraisons de gaz naturel à l’Allemagne via le gazoduc Nord Stream 1. Le ministre a indiqué qu’il s’agirait d’une « décision proportionnelle » à la lumière de l’arrêt par le gouvernement allemand du gazoduc Nord Stream 2 suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
« En rapport avec les accusations infondées portées contre la Russie concernant la crise énergétique en Europe et l’imposition d’un embargo sur Nord Stream 2, nous avons tout à fait le droit de prendre une décision proportionnelle et d’imposer un embargo sur le pompage du gaz par le gazoduc Nord Stream 1 », a déclaré M. Novak à la télévision d’État.
Alexander Novak, ministre chargé de l’Energie, a indiqué que « jusqu’à présent, nous ne prenons pas une telle décision ». Cette déclaration sonne comme un nouvel ultimatum aux occidentaux qui multiplient les sanctions économiques pour punir l’invasion militaire de Moscou.
Si une telle mesure drastique était prise, les prix du gaz naturel en Europe s’envoleraient encore plus haut – après avoir déjà atteint un niveau record. Le TTF Néerlandais a atteint ce mardi 345 euros le mégawattheure.
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Les Etats-Unis veulent sanctionner le gaz et le pétrole russes
Les menaces russes interviennent alors que les pays occidentaux continuent de pousser pour un embargo du secteur énergétique russe. Washington souhaite interdire l’importation du gaz et du pétrole russes mais fait face au véto allemand.
Moscou a mis en garde contre des « conséquences catastrophiques pour le marché mondial » de la mise en place d’un tel embargo.
« La flambée des prix risque d’être imprévisible et d’atteindre plus de 300 dollars pour un baril, voire plus », a indiqué Alexandre Novak.
L’Allemagne, première puissance économique européenne, dépend à 54% du gaz russe. Berlin a déjà fermé Nord Stream 2 suite à l’invasion russe en Ukraine et ne peut pas se permettre un arrêt brutal de ses importations gazières depuis la Russie.
« Je ne préconiserais pas un embargo sur les importations russes de combustibles fossiles. Je m’y opposerais même », a déclaré le ministre allemand de l’économie, Robert Habeck,
Malgré les craintes économiques et sociales de ses alliés, Washington a annoncé l’interdiction des importations américaines d’énergie russe. Le pétrole et le gaz sont visés par cette mesure qui alimente l’augmentation des prix de l’énergie sur les marchés.
Contrairement aux européens, les Etats-Unis peuvent s’appuyer sur leur secteur de l’énergie déjà autosuffisant. Moins de 4% des importations américaines de pétrole proviennent de Russie. Le gaz de schiste américain, à l’agonie pendant la crise sanitaire, pourrait être le grand gagnant de ces sanctions.

Les conséquences possibles de l’arrêt du gaz russe en Europe
L’Europe voit d’un très mauvais œil l’éventualité d’un tel scénario qui pourrait provoquer un séisme énergétique et sociale. Les pays européens importent environ 40% de leur gaz à la Russie avec des pics montant jusqu’à 100% pour l’Estonie, la Finlande, la Moldavie ou encore la Macédoine (99,54%).
Dans le scénario où la Russie stopperait ses exportations d’hydrocarbure, le prix du gaz pourrait s’envoler de 70% indique Ano Kuhanathan, économiste chez Euler Hermes dans le média Capital. La facture énergétique des foyers français pourrait atteindre 3800 euros en moyenne !
“Selon nos calculs, même si l’on va chercher des alternatives, comme davantage de gaz algérien ou de gaz liquéfié, nous allons nous retrouver avec des volumes manquants, ce qui devrait créer des tensions importantes sur les prix”, alerte l’économiste.
Face aux craintes de la population allemande, qui a déjà vu sa facture énergétique exploser en 2021, le ministre allemand de l’économie, Robert Habeck, s’est prononcé contre une interdiction des importations d’énergie en provenance de Russie.
« Nous avons besoin de ces approvisionnements énergétiques pour maintenir la stabilité des prix et la sécurité énergétique en Allemagne », a ajouté M. Habeck, avertissant qu' »une pénurie d’approvisionnement pourrait menacer la cohésion sociale en Allemagne. »

Les sanctions économiques contre la Russie à double tranchant
Les sanctions contre l’économie russe pourraient bien provoquer un séisme social sans précédent en Europe.
« D’un certain point de vue on en fait pas assez mais on n’en a jamais fait autant : livrer des armes, exclusion des banques russes de Swift… C’est pénalisant pour l’Europe. Les pays de l’Union Européenne acceptent de s’appauvrir pour l’Ukraine chaque jour un peu plus », explique Carode Camaret, rédactrice en chef chez France 24.
Les populations européennes subissent depuis la crise sanitaire une augmentation drastique du prix du gaz en pleine période hivernale. Se chauffer en plein hiver est devenu un luxe dans les pays où les prix n’ont pas été gelés pendant cette période de records.
A la pompe à essence la situation est tout autant dramatique. Le prix de l’essence a dépassé la barre symbolique des 2 euros depuis la guerre en Ukraine. Selon les estimations, la situation ne devrait pas s’améliorer et même au contraire s’aggraver. Un prix du baril à moins de 150 dollars est désormais presque inconcevable pour les spécialistes de l’énergie qui évoquent un nouveau « choc pétrolier ».
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En pleine campagne électorale, le gouvernement français a déclaré que les prix du gaz allaient être suspendus jusqu’à fin 2022. Pour autant, les dégâts se font déjà sentir notamment dans le secteur industriel et agricole.
La présidente du syndicat agricole majoritaire FNSEA, Christiane Lambert, a déjà fait savoir que les prix des denrées alimentaires allaient augmenter dans les prochains mois.
« Vladimir Poutine a la main sur le robinet du gaz et pour faire des engrais, il faut du gaz », a-t-elle souligné, prédisant « indéniablement » des « répercussions sur les prix de production pour les industries agroalimentaires ».
D’autres, comme le PDG de la Jurasienne de Céramique a décidé de mettre en sommeil son usine face à l’explosion de sa facture de gaz multipliée par dix. L’entreprise est liée à son fournisseur par un contrat précaire sensible aux variations du marché au jour le jour. Les 54 salariés vont être placés en chômage partiel.
« Même appliquer une hausse de nos prix de 400% [..] ne suffirait même pas à couvrir les charges fixes liées aux dépenses d’électricité et de chauffage », regrette Manuel Rodriguez.
Fronde sociale et émeutes de la faim
Fronde sociale en France
L’année 2022 s’annonce déjà comme celle de tous les records. Les prix du pétrole, du gaz, du blé ou encore des métaux connaissent des pics souvent jamais atteints. Les sanctions économiques et les incertitudes autour de l’approvisionnement en pétrole et en gaz russes pourraient entraîner une nouvelle crise économique mondiale et l’explosion de la fronde sociale.
En 2018, la France a découvert le mouvement des gilets jaunes suite à une augmentation des prix de l’essence (1,47 euro à l’époque). Aujourd’hui, le prix du litre du gasoil atteint 2 euros, l’inflation explose (5%), les factures de gaz et électricité s’envolent et le ticket de caisse au supermarché n’a jamais été aussi élevé.
La crise sanitaire a déjà fragilisé les foyers les plus précaires, qu’en sera-t-il de la suite avec des prix à la hausse partout ?

Emeutes de la faim au Moyen Orient ?
Si le pétrole et le gaz sont les premières préoccupations des pays occidentaux, au Moyen Orient et au Maghreb on craint les crises alimentaires et les déstabilisations politiques. Ces pays sont dépendants du blé russe et ukrainien qui pèse 30% des exportations mondiales par jour.
A l’image de 2008 où plus d’une trentaine de pays avaient été touchés par des émeutes de la faim, la crise actuelle pourrait être catastrophique pour les pays comme l’Egypte qui importe 13 millions de tonnes de blé.
« On ne peut pas exclure que de nouvelles émeutes de la faim éclateront », explique Arthur Portier, expert en marchés agricoles.
Si certains pays importateurs de blé pourront compter sur la hausse du pétrole pour équilibrer leurs dépenses (Algérie), ce n’est pas le cas du Maroc par exemple qui fait face à une sécheresse historique. Le pays, qui n’est pas exportateur de pétrole, importe habituellement 5 millions de tonnes de blé. Cette année, face à une récolte faible, Rabat devra importer davantage dans un contexte économique particulier.