Le climat et la pandémie provoquent la hausse des prix des matières premières. Les pénuries se multiplient dans les magasins en France où l’importation massive depuis l’Asie était devenue la norme.
Des pénuries de bois, de plastique et d’acier en France
Les artisans comme les grands magasins sont victimes d’une importante pénurie des matériaux de construction ces derniers mois. Le bois, les plastiques et l’acier manquent et les prix augmentent par la même occasion.
« Il y a des bois qu’on ne trouve plus, ou bien dans des délais totalement délirants. De huit à douze semaines habituellement, on est passé aujourd’hui entre seize et vingt semaines. Sans même la garantie d’être livré au bout du compte. Car certains camions n’arrivent jamais et nous sommes prévenus au dernier moment », s’insurge Jean-Claude Baudin, patron d’une entreprise de charpente.
Suite aux confinements, beaucoup de français ont entamé des travaux de réaménagement ou ont acheté une maison en campagne. L’isolation des maisons et autres travaux liés à la transition énergétique ont également provoqué des hausses de la demande sur le marché. Faute de bois, qualifié de matériau d’avenir pour atteindre les objectifs bas carbone de l’accord sur le climat, des chantiers entiers sont en stand-by. La Fédération française du bâtiment (FFB) estime que 15 % des entreprises ont peiné à continuer au moins un chantier durant l’été.
Autres responsables, la Chine et les Etats-Unis qui importent massivement du bois européen et notamment français. Les fournisseurs américains, très sollicités par la relance économique, importent depuis la filière européenne pour éviter la surtaxe imposée par Donald Trump au bois canadien. Les chinois ont également lancé leur dévolu sur le bois français après que la Russie a décidé d’arrêté de lui fournir certaines essences. Un tiers des grumes de chênes français est exporté vers la Chine. Une situation catastrophique qui tue la filière du bois, alerte la Fédération nationale du bois.
« Les scieries européennes sont en danger de mort. »
Les magasins de bricolage augmentent les prix avec le cours des matières premières qui explose pour le bois comme pour l’acier. Les prix de l’acier ont par exemple augmenté de 60 à 100 % depuis le début de l’année, indique Michel Julien-Vauzelle, président de la Fédération française de la distribution des métaux (FFDM).
La situation est la même dans des grands magasins comme IKEA qui reconnaissent que des produits phares n’ont pas été réapprovisionnés depuis des semaines. Selon la firme suédoise, 10 % des références de produits sont actuellement manquantes.
« Nous rencontrons des problèmes d’approvisionnement, nous mettons tout en œuvre avec nos partenaires pour qu’ils soient disponibles dès que possible », indique une grande enseigne.
Pénuries des semi-conducteurs dans l’automobile, la téléphonie et l’informatique
Le secteur de l’automobile est également gravement touché par les pénuries de semi-conducteurs. Selon Reinhard Ploss, patron de Infineon, leadeur dans le secteur en Allemagne, la rareté des puces électroniques pourrait s’étendre jusqu’en 2023.
Les concessionnaires automobiles doivent faire face à des retards importants de livraison des voitures neuves tandis qu’une partie d’entre eux reportent leur production. Toyota a déjà annoncé réduire sa production de 40% en septembre pour faire face à la pénurie.
Les puces électroniques sont essentielles au bon fonctionnement des nouvelles voitures notamment pour les accessoires, les airbags et tableaux de bord.
Les autres secteurs technologiques ne sont pas épargnés. Les entreprises de matériel informatique et celles de téléphonie, pour lesquelles il faudrait « 20% » de capacités de production en plus afin de répondre à la demande, devront retarder la sortie de leurs produits ou limiter les stocks.
« La construction de nouvelles installations (…) dans lesquelles les plaquettes de silicium sont transformées en puces peut prendre deux ans à deux ans et demi », rajoute Reinhard Ploss.
Les sociétés occidentales sont dépendantes des usines en Asie où est réalisée 80% de la production des semi-conducteurs. Les constructeurs fonctionnent souvent avec des chaînes en flux tendus rendant la résilience des ces entreprises à une pénurie très faible.
Des pénuries de jouets pour Noël en France ?
Noël pourrait bien avoir un goût amer cette année pour les magasins de jouets. La pénurie de plastique et le manque de conteneurs pour transporter la marchandise provoquent des ruptures de stock d’un nombre important de jouets.
La montée du prix des matières premières accompagnée des conditions de travail compliquées en Asie à cause du Covid-19 pourrait provoquer une montée du prix des jouets cette fin d’année 2021.
« Aujourd’hui, il nous manque 20% des produits en magasin. Ce sont principalement des figurines, des voitures, des poupées, des produits qui viennent essentiellement de Chine », affirme Maxime Bonati, directeur adjoint du magasin.
Des centaines de produits manquent déjà dans les les rayons et le choix des consommateurs pourrait se restreindre au fil des semaines. Les spécialistes appellent déjà à se presser pour faire les emplètes de fin d’année.
Et la situation n’est pas prête de s’améliorer puisque les prix des conteneurs s’envolent ce qui pourrait avoir des conséquences sur le prix des jouets en rayon. Le transport d’un conteneur est passé de 3 000 euros avant la pandémie à 17 000 euros aujourd’hui.
« Il y a des fabricants dont les tarifs sont en train d’être discutés. Pour certains, c’est une partie de la gamme ou l’ensemble de la gamme qui vont être proposés à la hausse », se désole Franck Mathais, porte-parole d’une autre enseigne de jouets.
Face à ces pénuries, une partie de la population pourrait se rabattre sur les jouets fabriqués en France ou sinon le « seconde main », des jouets d’occasion achetés sur Internet ou des brocantes. Une bonne nouvelle pour l’écologie.
Des pénuries de blé dur et blé tendre en France
Les agriculteurs n’ont pas été épargnés cette année par le réchauffement climatique avec comme conséquence des productions de blé largement endommagés. Au Canada, premier exportateur mondial, la sécheresse a provoqué des pertes importantes pour les producteurs. Selon les spécialistes, il s’agirait d’une baisse de production à hauteur de -30% à -40%.
En France aussi, les récoltes ont été mauvaises cette fois à cause de la pluie qui est tombée en Europe. Les estimations font état d’une récolte européenne de 7,3 millions de tonnes alors que les besoins juste pour le vieux continent sont de 9,5 millions de tonnes.
Les fabricants de pâtes alertent depuis plusieurs mois sur des pénuries en France.
« On estime qu’il va manquer à peu près 2 millions de tonnes, a-t-il précisé. Nous avons un risque de pénurie de pâtes au niveau mondial », indique François Rouilly, directeur général de Panzani.
Cette situation se répercute directement sur les prix du cours du blé. Selon la FNSEA, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, les prix ont augmenté de 30% de juillet à août 2021. Le prix de la tonne de blé dur était de 335 euros mi-août contre 270 euros le 7 juillet.
Mais le blé dur n’est pas le seul concerné puisque même le blé tendre est touché par les aléas du climat. La tonne avait franchi le seuil record des 250 euros en juillet, une première depuis 2013. Par rapport à l’été précédent, le blé tendre coûte 30% plus cher. A l’image des pâtes, la baguette au boulanger devrait augmenter même si les experts pensent que la hausse ne sera pas importante.
Pénuries de médicament en France
En plus des pénuries de matériaux et matières premières, la France fait face à une augmentation des ruptures de stock de médicaments pour de nombreuses pathologies. Les conséquences sont parfois fatales pour les malades.
L’Agence de sécurité du médicament (ANSM) révèle qu’en 2020, 2446 signalements lui ont été rapportés par des laboratoires qui constataient ou craignaient des ruptures de stock. En 2017, l’ANSM en dénombrait moins de 600 et 89 en 2010.
Les laboratoires français dépendent en grande partie de la Chine et de l’Inde qui produisent, sinon les médicaments, les principes actifs nécessaires à leur élaboration.
« Nous ne pouvons pas continuer à dépendre à 80% ou 85% de principes actifs pour les médicaments qui sont produits en Chine, ce serait irresponsable et déraisonnable », déplorait Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, en février 2020.
« Quand bien même vous avez des génériques, le fait d’avoir une usine ou deux qui produisent la matière première, dès qu’il y a un problème de production ou de qualité, cela a d’importantes conséquences », explique Yann Mazens, de France Assos Santé.
Si les les laboratoires invoquent des problèmes d’approvisionnement, des incidents de production ou une demande mondiale accrue, l’une des raisons majeures de ces pénuries est financière. Plus de la moitié des médicaments en rupture de stock sont sur le marché depuis plus de 10 ans. Un inconvénient financier pour les entreprises pharmaceutiques.
« Le prix de certains anticancéreux ou antibiotiques anciens n’étant pas actualisé voire non soutenu dans un marché compétitif pour les produits nouveaux, cela conduit à des marges trop faibles pour que les industriels investissent dans les structures de production, ce qui peut amener parfois à l’arrêt de la commercialisation. »
Climat, pandémie : la globalisation mise à rude épreuve
Les agriculteurs et le climat
Les catastrophes climatiques se multiplient à travers le monde et les pays riches ne sont pas épargnés. Les inondations, orages, averses de grêle, sécheresses et autres phénomènes météorologiques ont des conséquences directes sur les chaînes d’acheminement des matières premières.
Longtemps opposées aux rapports scientifiques sur les conséquences de l’agriculture intensive, les associations d’agriculteurs commencent à vouloir un changement pour éviter les faillites en chaîne. Les pertes importantes de leurs récoltes obligent les exploitants agricoles à repenser leur modèle basé sur l’utilisation massive des pesticides et autres produits chimiques qui ont des conséquences directes sur les terres, la biodiversité et le climat.
Mondialisation et localisme
La crise actuelle et ses conséquences ont permis d’entendre les critiques sur la globalisation et la théorie du libre-échange. La France a connu une longue et importante désindustrialisation à partir des années 80 provoquant par la même occasion un choc économique et social sans précédent. Les villes de campagne ont été désertées par les habitants dans l’impossibilité de trouver du travail. Un véritable exode rural.
Les jouets, meubles ou vêtements sont désormais fabriqués en Asie par une main d’œuvre bon marché voire par des ouighours emprisonnés dans des camps. Les chaînes d’acheminement en flux tendus entre usines et magasins ont permis aux industriels de réaliser d’importants bénéfices redistribués aux actionnaires sans que les populations occidentales n’en profitent vraiment.
La Chine, usine du monde et ennemie du climat
La globalisation a un coût élevé pour la planète. Le pétrole bon marché permet actuellement l’acheminement d’objets venus d’Asie mais à quel prix ? Entre les centrales à charbon chinoises et les porte-conteneurs immenses, dont le carburant est l’un des plus sales au monde, les conséquences pour le climat sont désastreuses. Le fret de surface (camions, trains, ..) et le fret aérien et maritime représentent 10% des émissions de gaz à effet de serre. Il est responsable chaque année de l’émission de plus de 3 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Les militants écologistes plaident pour un retour au local des industries afin d’avoir un meilleur contrôle sur leurs émissions de CO2 mais également pour supprimer le coût environnemental du transport. Un projet ambitieux refusé jusqu’à présent par le gouvernement. Face aux critiques, Bruno Le Maire, actuel Ministre des Finances, a évoqué une relocalisation des « industries de pointe ».
Face aux pénuries, la résilience des territoires par le local
La résilience territoriale face aux catastrophes renvoie à la capacité d’adaptation et d’organisation d’un territoire afin d’affronter au mieux des évènements dommageables explique l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
Une réindustrialisation des territoires permet une meilleure résilience face à une catastrophe planétaire. La réduction des kilomètres pour produire habits ou matériaux assure une meilleure autonomie de production. Durant la crise du Covid-19, la France n’a même pas été capable de fabriquer massivement des masques dans ses usines.
Les circuits courts, qui s’opposent à la globalisation, permettent aux citoyens d’avoir le contrôle sur les éléments essentiels de sa survie en cas de catastrophe. Dans les Pyrénées Atlantique, 50 % des agriculteurs installés en 2012 commercialisent tout ou une partie de leurs productions en circuits courts. La ville de Pau de son côté a lancé un grand projet de « ceinture verte » afin d’assurer des produits locaux à l’agglomération de 160 000 habitants.
Les citoyens sont de plus en plus nombreux à vouloir manger localement et cela passe par une diversification des cultures qui s’oppose aux grandes monocultures céréalières actuelles. Les fermes bio et locales répondent ainsi à une demande toujours plus importante des consommateurs. Ces derniers sont prêts à payer plus cher pour avoir un produit de qualité dont l’origine est connue. En sautant l’étape des grandes surfaces, les agriculteurs réalisent de meilleurs chiffres d’affaires ce qui leur permet de créer de l’emploi.
Bruno Joly, producteur de lait à Saint-Gervais-les-Trois-Clochers (Vienne), a totalement changé le business modèle de la ferme dont il a hérité. Il est passé du conventionnel au bio. Ses produits, beurre, crème fraîche, yaourts, remplissent désormais les rayons d’une centaine de magasins environnants.
« Dès qu’on a mis le logo bio, on a augmenté nos ventes en instantané de 40% », explique le producteur.
Evaluation des risques et DICRIM
Afin de lutter contre les crises alimentaires, les pénuries de matières premières et les ruptures de stock dans les rayons, la France doit repenser sa résilience locale. Sortir des dogmes économiques, organiser une démocratie plus directe en remettant le pouvoir au centre de la cité, réfléchir à justice climatique et sociale, prévenir des risques de catastrophes climatiques qui vont de se multiplier au fil des décennies à cause du réchauffement climatique.
Dans un rapport de 50 pages, deux cents scientifiques de renom ont récemment alerté sur la dangerosité d’un chevauchement des crises environnementales qui pourrait faire basculer la planète dans un « effondrement systémique mondial ».
L’évaluation des risques liés au dérèglement climatique, comme le réchauffement climatique, des sécheresses accrues, les inondations, devrait dans les prochaines années devenir un élément essentiel pour les villes et régions. Les communes possèdent un DICRIM. Ce document informe les habitants sur les risques majeurs encourus et les mesures de prévention et de protection. Une première démarche pour tout citoyen prévoyant.
Sami Idir ZARELI
Rédacteur web spécialisé dans les questions écologistes