Le 14 janvier 2004, les États-Unis ont annoncé une nouvelle « Vision pour l’exploration spatiale », promettant que les humains non seulement visiteraient l’espace, mais y vivraient. Deux décennies plus tard, le programme Artemis de la NASA se prépare à renvoyer des astronautes sur la Lune et, à terme, à envoyer des humains sur Mars.
Cette mission durera environ trois ans et couvrira des centaines de millions de kilomètres. L’équipage sera confronté aux radiations, à l’isolement, à l’apesanteur et au confinement, créant un stress sans précédent pour les astronautes auparavant. Pour les physiologistes, c'est la frontière ultime : un laboratoire vivant où le corps humain est poussé jusqu'à, et parfois au-delà, ses limites biologiques.
L'espace est brutalement impitoyable. Il s’agit d’un vide inondé de radiations et de températures extrêmes violentes, où l’absence de gravité démantèle les systèmes qui ont évolué pour nous maintenir en vie sur Terre. La physiologie humaine est adaptée à une atmosphère de pression, une gravité et une niche écologique fragile. Sortez de cette zone de confort étroite et le corps commence à échouer.
Pourtant, l’adversité conduit à la découverte. Des recherches à haute altitude ont révélé comment le sang préserve l’oxygène à la limite de la survie. Les expéditions en haute mer et aux pôles ont montré comment les humains supportent une pression écrasante et un froid extrême. Les vols spatiaux perpétuent cette tradition, redéfinissant notre compréhension des limites de la vie et montrant jusqu'où la biologie peut se plier sans se briser.
Pour comprendre ces limites, les physiologistes cartographient « l'exposome spatial », c'est-à-dire tout ce qui, dans l'espace, stresse le corps humain, depuis les radiations et l'apesanteur jusqu'aux perturbations du sommeil et à l'isolement. Chaque facteur est nocif en soi, mais combinés, ils s’amplifient les uns les autres, poussant l’organisme dans ses retranchements et révélant son véritable fonctionnement.
De cette complexité émerge ce que les scientifiques appellent « l’intégrome spatial » : le réseau complet de connexions physiologiques qui maintient un astronaute en vie dans l’environnement le plus extrême connu.
Lorsque les os perdent des minéraux, les reins réagissent. Lorsque le liquide se déplace vers la tête, il modifie la pression dans le cerveau et affecte la vision, la structure et le fonctionnement du cerveau. Les cellules immunitaires réagissent aux hormones de stress libérées par le cerveau. Chaque système influence les autres dans une boucle de rétroaction biologique continue.
Le corps comme biosphère
La combinaison spatiale est le symbole le plus tangible de cette intégration. Il s'agit d'une biosphère portable : un environnement miniature et autonome qui maintient en vie la personne qui s'y trouve, tout comme l'atmosphère terrestre le fait pour toute vie. La combinaison protège le corps de la physique mortelle de l’espace, en le protégeant du vide, des radiations et des températures extrêmes.
À l’intérieur de ses coques superposées de mylar (un plastique réfléchissant qui isole de la chaleur), de kevlar (une fibre solide qui résiste aux chocs) et de dacron (un polyester résistant qui maintient sa forme et sa pression), les astronautes vivent dans un équilibre délicat. Il y a juste assez de pression interne pour empêcher leurs fluides corporels de bouillir dans le vide, tout en restant suffisamment de flexibilité pour bouger et travailler.
Chaque choix de conception reflète un compromis physiologique. À une pression trop basse, la conscience disparaît en quelques secondes. À une pression trop élevée, l’astronaute se retrouve coincé dans une coque rigide.
Les radiations restent le danger le plus insidieux des vols spatiaux. Les rayons cosmiques galactiques, composés de protons de haute énergie et d’ions lourds, traversent les cellules et fracturent l’ADN d’une manière que la biologie sur Terre n’a jamais été conçue pour réparer. L'exposition à ces rayons peut provoquer des dommages à l'ADN et des réarrangements chromosomiques qui augmentent le risque de cancer.
Mais la recherche sur les biomarqueurs des radiations – des signaux moléculaires qui montrent comment les cellules réagissent à l’exposition aux radiations – améliore non seulement la sécurité des astronautes, mais contribue également à transformer le traitement du cancer sur Terre. Les mêmes marqueurs biologiques qui révèlent les dommages causés par les radiations dans l'espace sont utilisés pour affiner la radiothérapie, permettant aux médecins de mesurer la sensibilité des tissus, de personnaliser les doses et de limiter les dommages aux cellules saines.
Les études sur la façon dont les cellules réparent l’ADN après une exposition aux rayonnements cosmiques éclairent également le développement de nouveaux médicaments qui protègent les patients pendant le traitement du cancer.
La microgravité présente un autre paradoxe. En orbite, les astronautes perdent 1 à 1,5 % de leur masse osseuse chaque mois et leurs muscles s’affaiblissent malgré l’exercice quotidien. Mais cet environnement extrême fait aussi de l’espace un modèle sans précédent de vieillissement accéléré. Les études sur la perte osseuse et l’atrophie musculaire en microgravité aident à découvrir des voies moléculaires qui pourraient ralentir les maladies dégénératives et la fragilité dans notre pays.
Les astronautes à bord de la Station spatiale internationale passent plus de deux heures par jour à effectuer des « contre-mesures » : des exercices intensifs de résistance et des séances dans des chambres à pression négative du bas du corps, qui ramènent le sang vers les jambes pour maintenir une circulation saine.
Ils suivent également un régime alimentaire soigneusement planifié pour stabiliser leur métabolisme. Aucune stratégie seule ne suffit, mais ensemble, elles contribuent à maintenir la biologie humaine plus proche de l’équilibre dans un environnement défini par l’instabilité.
Physiologie numérique
De minuscules capteurs intégrés dans les combinaisons spatiales, ou même placés sous la peau, peuvent désormais suivre en temps réel la fréquence cardiaque, l’activité cérébrale et les modifications chimiques du sang. Le profilage multiomique combine des informations issues de la biologie (gènes, protéines et métabolisme) pour dresser un tableau complet de la façon dont le corps réagit aux vols spatiaux.
Ces données alimentent des jumeaux numériques : des versions virtuelles de chaque astronaute qui permettent aux scientifiques de simuler la façon dont leur corps réagira à des facteurs de stress tels que les radiations ou la microgravité.
L’astronaute du futur ne se contentera pas de supporter l’espace. Ils travailleront avec leur propre biologie, en utilisant des données en temps réel et des algorithmes prédictifs pour repérer les risques avant qu'ils ne surviennent, en ajustant leur environnement, leurs exercices ou leur alimentation pour maintenir leur corps en équilibre.
En étudiant comment les humains survivent sans gravité, nous apprenons également à mieux vivre avec. La physiologie spatiale a déjà contribué à façonner les traitements contre l’ostéoporose et les maladies cardiovasculaires, et elle améliore notre compréhension de la perte musculaire liée à l’âge.
La recherche sur le syndrome neuro-oculaire associé aux vols spatiaux – une condition dans laquelle les déplacements de fluides en microgravité provoquent une pression à l’intérieur du crâne, entraînant parfois des changements de vision – aide les scientifiques à comprendre l’hypertension intracrânienne sur Terre.
Même les études sur l’isolement et la résilience des astronautes ont fait progresser la recherche sur la santé mentale et l’adaptation au stress, offrant des informations qui se sont révélées inestimables pendant la pandémie de COVID-19, lorsque des millions de personnes ont été confrontées à un confinement et à une séparation sociale similaires à la vie à bord d’un vaisseau spatial.
En fin de compte, Mars mettra à l’épreuve notre biologie davantage que notre technologie. Chaque gramme de muscle préservé, chaque synapse protégée, chaque cellule réparée sera un triomphe de la physiologie. L'espace a beau démanteler le corps humain, il révèle aussi l'étonnante capacité de notre corps à se reconstruire.


