La situation au Burkina Faso ne fait pas les gros titres des journaux, et pourtant, le pays est au bord de l’effondrement. Guerre civile entre communautés, climat , bandes armées, menace djihadiste ou encore désertion dans l’armée, Ouagadougou semble se transformer en un nouveau Mali.
Le Burkina Faso est en train de rejoindre les autres pays du Sahel au bord de l’effondrement. Selon les experts, un phénomène de dislocation est en oeuvre dans cette région d’Afrique qui fait face à la désertification, aux sécheresses, aux conflits entre ethnies et à l’intensification des attaques djihadistes.
Burkina Faso : un nouveau Mali
Si les ONG sur le terrain préviennent la communauté internationale depuis plusieurs années, Ouagadougou a de son côté tardé à réagir face à la perte de contrôle de son territoire. Depuis quelques jours, le gouvernement a tiré la sonnette d’alarme comme un appel au secours.
Il est à l’urgence devant « l’extrême gravité de la situation sécuritaire » qui fait « qu’il n’y a pas un jour, pas une semaine sans de nouvelles victimes », selon les mots du ministre des affaires étrangères Alpha Barry.
A l’instar du Mali, le Burkina Faso fait face à une fracture ethnique entre les touaregs, peuls et le reste de la population. Les peuples du nord du pays sont souvent accusés d’être des terroristes ou au moins des soutiens. Les attaques de militaires contre les villages de peuls ont fait de nombreuses victimes et provoquer une fracture.
La répression militaire facteur de radicalisation
Dans un rapport publié en mars, l’ONG Human Rights Watch (HRW) s’inquiète d’une « brutale augmentation des atteintes aux droits humains » dans le nord du pays.
« Cette logique consistant à tuer des suspects au nom de la sécurité est non seulement illégale mais risque d’aggraver le conflit, en poussant davantage de personnes entre les mains des recruteurs des groupes islamistes », alerte Corinne Dufka, directrice pour le Sahel de HRW, qui, depuis 2017, a documenté « près de 200 cas d’exécutions sommaires présumées d’hommes non armés », accusés d’avoir soutenu ou hébergé des terroristes, lors d’opérations des forces de défense burkinabées.
En 2016, le Nord du Burkina Faso a vu l’essor d’Ibrahim Malam Dicko, un prédicateur porteur d’un message révolutionnaire contre les inégalités et le « régime corrompu ». Des discours ignorés par le pouvoir en place mais écouté par des populations abandonnées par Ouagadougou et victime de préjugés autour de leur couleur de peau.
« Certains émirs ou idéologues sont étrangers mais le terrorisme, chez nous, est devenu endogène à cause de la mauvaise gouvernance, de l’injustice, des spoliations… », énumère Mahamoudou Savadogo, sociologue des conflits.
De nombreux jeunes ayant fui la répression des militaires ont rejoint des groupes jihadistes ou / et touaregs indépendantistes. A l’image du Mali en 2012, les autorités sont dépassées et perdent chaque jour plus de territoire.
« Environ un tiers du territoire échappe à notre contrôle », affirme un officier de la police burkinabé.
Un influent chef de village à la frontière du Mali confirme les affirmations du sociologue des conflits. L’armée a fait un usage excessif de la force qui a facilité l’enrôlement de nombreux jeunes par des groupes jihadistes et séparatistes.
« Des jeunes ont fui au Mali et rejoint le Mujao [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest], d’où ils sont revenus quelques mois plus tard pour se venger. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à aller vers les groupes armés. Ils n’ont plus d’autres choix parce que les FDS [l’armée] tuent, pillent, ciblent des villages ou des familles entières parce que l’un des leurs a rejoint les djihadistes. La haine et la peur se sont installées », déplore-t-il.
Insurrection locale ou jihadisme international ?
De grandes zones frontalières du Mali, du Niger, du Bénin et du Togo sont désormais sous contrôle d’une dizaines de groupes dits « d’auto-défense ». Des miliciens soutenus par les jihadistes déjà aguerri au combat dans le Sahel et plus particulièrement au Mali voisin.
« C’est une insurrection armée locale mais les autorités préfèrent l’auto-victimisation et dire que tout cela serait importé du Mali », ajoute le chercheur Mahamoudou Savadogo.
Fin août, au moins vingt quatre soldats ont été tués lors d’une attaque et l’arsenal militaire d’une base frontalière avec le Mali a été pillé. Le pouvoir axe sa communication sur la défense contre des groupes qui seraient des antennes de l’Etat Islamique au Grand Sahara.
« Les militaires ne patrouillent plus par peur des embuscades ou des engins explosifs. Les routes sont tenues par les groupes armés », déclare un policier sous couvert d’anonymat.
La situation continue de s’aggraver puisqu’en quelques mois, le nombre de déplacés dans le pays est passé de 87 000 au mois de février à 289 000 personnes en septembre.
Une guerre civile qui pour l’instant ne dit pas son nom mais qui pourrait aggraver la situation d’une région déjà en proie à des groupes armés jihadistes, indépendantistes, à des sécheresses chaque année plus importantes et à la pauvreté.
« En tant que chef traditionnel, nous avons perdu de l’importance. »« Résultat, tout le monde tire sur tout le monde. Et tout le monde est responsable : groupes armés, communautés, djihadistes. Une chose est sûre, la réponse militaire n’est pas la solution », observe un haut fonctionnaire en poste dans le Nord.
Comme si tout cela n’était pas suffisant, Ouagadougou n’arrive plus à gérer le Sud-Ouest du pays qui est en proie à des bandits de grands chemins.
« Le Sud-Ouest [proche de la Côte d’Ivoire] est sous la menace des bandits et des coupeurs de route », ajoute le policier.
Face à l’effondrement du pays, la France dont les forces armées sont déjà en action dans la zone sahélienne pourrait intervenir pour sauver le pouvoir central. Une solution temporaire dans une région où les Etats ne sont plus capables d’administrer leurs contrées.