Le 10 octobre 2024, les dirigeants égyptiens, érythréens et somaliens ont solidifié leur alliance régionale, en mettant l’accent sur la lutte contre l’influence de l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique. Le sommet trilatéral a marqué une évolution significative dans la géopolitique de l'Afrique de l'Est, en particulier à la lumière des actions de plus en plus affirmées de l'Éthiopie dans la région, comme son récent accord de port naval avec le Somaliland en janvier 2024. La création de ce qui semble être un conflit anti-éthiopien Cette alliance aura des implications cruciales pour le paysage sécuritaire de la région, où les trois pays cherchent à tirer parti de leurs efforts diplomatiques et militaires combinés pour freiner les ambitions de l’Éthiopie.
Ces ambitions sont centrées sur l'intérêt d'accroître ses capacités navales et, surtout, sur l'accès direct de l'Éthiopie à la mer Rouge – une perspective qui a longtemps été une source d'inquiétude pour l'Égypte, la Somalie et l'Érythrée, qui ont toutes eu tendance à considérer l'Éthiopie comme une menace. les développements économiques et militaires dans une perspective de sécurité nationale influencée par leur propre situation.
Pour l'Égypte, la principale préoccupation bilatérale est un conflit lié à l'eau centré sur le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD), un mégaprojet qui a une signification presque existentielle pour le Caire dans la mesure où il risque de perturber le débit du Nil et d'avoir un impact négatif sur l'agriculture et l'eau douce égyptiennes. ressources.
Les griefs de l'Érythrée découlent de relations historiquement tendues qui remontent aux années 1950, lorsqu'elle a lancé pour la première fois une lutte pour obtenir son indépendance de l'Éthiopie (d'ailleurs, avec le soutien précoce de l'Égypte). Et même après avoir finalement obtenu son indépendance en 1993, une nouvelle série de combats a éclaté entre 1998 et 2000. L'Érythrée a depuis maintenu une position prudente alors que l'influence politique et militaire de l'Éthiopie dans la région a continué de croître au cours des dernières années. Compte tenu de la proximité de l'Érythrée avec la mer Rouge et de l'intérêt de l'Éthiopie à développer ses capacités navales et à élargir son accès à la mer, notamment grâce à l'accord avec le Somaliland, ces inquiétudes n'ont fait que croître ces derniers temps, l'une des manifestations de cette tension étant la récente suspension des vols de la compagnie aérienne éthiopienne vers l'Érythrée. .
L’implication de la Somalie dans l’alliance nouvellement formalisée ajoute une autre couche de complexité géopolitique. Historiquement, la Somalie a entretenu des relations tumultueuses avec l’Éthiopie, marquées par des conflits territoriaux et des guerres par procuration. Pourtant, ces dernières années, la Somalie a cherché à améliorer ses relations avec tous ses voisins, et l’Éthiopie ne fait pas exception. Ces efforts ont évidemment été contrecarrés par l'engagement croissant de l'Éthiopie avec le Somaliland, une zone que Mogadiscio revendique toujours comme faisant partie de son territoire. Le tournant s'est produit en janvier 2024, lorsque la signature d'un accord portuaire entre l'Éthiopie et le Somaliland a remis en question les revendications de souveraineté de la Somalie. L’accord a eu pour effet immédiat de rapprocher Mogadiscio de l’Égypte et de l’Érythrée, en guise de contrepoids à l’Éthiopie. Il y a aussi une dimension militaire évidente à cette coopération renouvelée, notamment en ce qui concerne le Caire. L'Égypte et la Somalie ont déjà signé un accord de sécurité et un protocole militaire après la visite du président somalien Hassan Sheikh Mohamud au Caire en août pour tenir des entretiens officiels avec son homologue, le président Abdel-Fatah el-Sissi. À l'issue de la cérémonie de signature du nouvel accord, le président el-Sissi a affirmé l'engagement de l'Égypte à préserver l'intégrité territoriale de la Somalie et a rejeté toute ingérence dans ses affaires intérieures.
Formaliser une alliance : l’Égypte, l’Érythrée et la Somalie
Le sommet trilatéral impliquant l'Égypte, l'Érythrée et la Somalie a marqué une étape importante dans la formalisation de leur stratégie collective, consolidant une approche commune pour contrer les intérêts de l'Éthiopie. La création d'un comité mixte trilatéral comprenant les ministres des Affaires étrangères de l'Égypte, de l'Érythrée et de la Somalie a été l'un des principaux résultats du sommet. Ce comité supervisera et promouvra la coopération stratégique sur les fronts militaire, diplomatique et économique, et sa création indique clairement que les trois États cherchent à formaliser une capacité d’action collective plus structurée. Plus spécifiquement, cela impliquera des efforts diplomatiques pour s'opposer à l'accord portuaire entre l'Éthiopie et le Somaliland et pour soutenir la position du Caire sur le GERD. À plus long terme, l'alliance cherchera à renforcer les capacités militaires de la Somalie, qui ont été gravement érodées par des années de conflit interne et d'instabilité.
Les motivations et les intérêts de l’Égypte
Pour l’Égypte, la motivation première de cette alliance est claire : renforcer son soutien diplomatique et militaire dans le conflit de l’eau entre le Caire et Addis-Abeba. Cela survient après plus d’une décennie de négociations diplomatiques au cours desquelles les deux États n’ont pas réussi à parvenir à une solution diplomatique. Le Caire n'a cessé d'exprimer ses inquiétudes quant au potentiel du GERD à réduire considérablement la part de l'Égypte dans les eaux du Nil, ce qui risquerait d'avoir un impact négatif sur l'industrie agricole du pays et de restreindre l'accès à l'eau potable. Dans le contexte de ces efforts diplomatiques, les tensions continuent de monter et l’Égypte s’emploie désormais à forger des alliances régionales pour contraindre l’Éthiopie à adopter une position plus favorable sur les accords régionaux de partage de l’eau.
L'accord sur le port naval entre l'Éthiopie et le Somaliland constitue une autre préoccupation majeure, dans la mesure où l'accès de l'Éthiopie à la mer Rouge mettrait en péril les intérêts de l'Égypte dans la région. En tant que pays qui dépend fortement du canal de Suez comme levier économique (le canal a généré quelque 9,4 milliards de dollars de redevances entre 2022 et 2023), l’Égypte tient à empêcher toute puissance rivale de prendre le contrôle des principales routes maritimes traversant la mer Rouge. En outre, il convient de noter que le canal de Suez est déjà affecté négativement par les attaques en cours au Yémen des Houthis soutenus par l'Iran contre des navires commerciaux passant par Bab Al Mandab, entraînant une diminution du trafic du canal de Suez allant jusqu'à 66 %.
Les motivations et les intérêts de l'Érythrée
La participation de l'Érythrée à l'alliance découle d'une combinaison de griefs passés et d'intérêts stratégiques. Malgré un accord de paix formel en 2018, les relations entre l'Érythrée et l'Éthiopie restent instables. En particulier, la perspective d’un port éthiopien au Somaliland a encore suscité des inquiétudes. L'Érythrée, située sur la côte ouest de la mer Rouge, considère la mer Rouge comme essentielle à sa sécurité nationale. Toute expansion de l'influence éthiopienne dans la région constitue une menace directe pour le contrôle de l'Érythrée sur les principales routes maritimes et diminue son influence stratégique. En outre, l’Érythrée considère son alliance avec l’Égypte et la Somalie comme une opportunité stratégique de renforcer sa propre position militaire et diplomatique dans la région. En s’alignant sur l’Égypte – une puissance régionale majeure dotée d’importantes ressources diplomatiques, de renseignement et militaires – l’Érythrée peut renforcer sa position vis-à-vis de l’Éthiopie et d’autres acteurs régionaux. L'alliance offre à l'Érythrée une chance de jouer un rôle plus actif dans les questions de sécurité régionale, en particulier celles liées à la mer Rouge et à la Corne de l'Afrique.
Les motivations et les intérêts de la Somalie
La décision de la Somalie de rejoindre l'alliance Égypte-Érythrée reflète une appréhension croissante quant au rôle de l'Éthiopie au Somaliland. La Somalie revendique depuis longtemps le Somaliland comme faisant partie de son territoire, même après que le territoire a déclaré son indépendance en 1991. L'accord portuaire entre l'Éthiopie et le Somaliland, en particulier, porte gravement atteinte aux revendications de souveraineté de la Somalie. En outre, pour la Somalie, l’alliance avec l’Égypte et l’Érythrée offre une réelle opportunité de renforcer ses capacités militaires et de renforcer sa position dans la diplomatie régionale. Le conflit prolongé a gravement affaibli l'armée somalienne, et le pays continue de faire face à d'importants défis en matière de sécurité intérieure, impliquant notamment des groupes extrémistes. En s’alignant sur l’Égypte, qui dispose d’une infrastructure militaire solide, la Somalie peut accéder au soutien et à la formation militaires dont elle a grandement besoin. En outre, l’alliance offre à la Somalie un moyen de soulever ses problèmes concernant le Somaliland au niveau international, en utilisant l’influence diplomatique de l’Égypte et de l’Érythrée pour renforcer sa position.
Une géopolitique changeante dans la Corne de l’Afrique
La création de l’alliance Égypte-Érythrée-Somalie marque un changement crucial dans la géopolitique de la Corne de l’Afrique. Alors que l’Éthiopie continue de s’affirmer comme puissance régionale, ses voisins cherchent à contrebalancer Addis-Abeba par des moyens diplomatiques et militaires. L'alliance entre l'Égypte, l'Érythrée et la Somalie aura des implications considérables sur le paysage politique et sécuritaire de la région, d'autant plus que les trois États continuent d'institutionnaliser leur coopération par le biais du comité conjoint trilatéral nouvellement créé.