Le 21 août 2024, le ministère japonais de la Défense (MoD) a publié un rapport intermédiaire soulevant la question de la pénurie de main-d’œuvre dans les Forces d’autodéfense japonaises (JSDF) et les mesures nécessaires pour y remédier. Parmi les mesures recommandées par le Comité d’étude sur le renforcement fondamental de l’infrastructure des ressources humaines, formé par le MoD en juillet 2024, figurait l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA), de drones (véhicules aériens sans pilote) et de systèmes d’automatisation pour compenser la pénurie de main-d’œuvre dans les forces armées. Ces recommandations font suite à une conférence de presse organisée par le MoD le même mois, au cours de laquelle il a annoncé que l’utilisation de l’IA permettrait non seulement de rationaliser le travail au sein du MoD, mais également de se concentrer sur d’autres domaines, notamment « la détection et l’identification des cibles militaires, le commandement et le contrôle, et le soutien logistique ».
Le recours aux nouvelles technologies est clairement perçu par le gouvernement japonais comme un moyen de pallier le manque de personnel capable de travailler dans les domaines de la logistique et de la sécurité. Ce manque de personnel pour les JSDF a été évoqué par les gouvernements précédents, qui craignaient que la préparation militaire du Japon ne s'en trouve érodée à long terme.
Le ministère de la Défense a toutefois souligné qu’il reconnaissait les limites de l’utilisation de l’IA dans un scénario futur où elle devra être utilisée : dans des situations sans précédent, l’IA apprend principalement à partir de données passées. La politique préconise le recrutement de spécialistes pour gérer les problèmes liés à l’IA et élaborer une stratégie pour développer une main-d’œuvre spécialisée dans les systèmes d’IA. Des inquiétudes ont également été exprimées concernant une éventuelle utilisation abusive et une dépendance excessive. Par exemple, le ministre de la Défense Minoru Kihara a évoqué lors d’une conférence de presse en juillet les défis que pose l’adaptation complète de l’IA et d’autres technologies émergentes au renforcement des capacités de défense japonaises.
Il existe des précédents de mise en œuvre réussie de technologies émergentes pour pallier partiellement aux pénuries de main-d'œuvre de la JSDF. L'adoption rapide des drones en est un exemple. Le document d'orientation du programme de renforcement de la défense (DBP) publié le 16 décembre 2022 appelle à l'adoption de drones pour remplacer les hélicoptères d'attaque et d'observation dans les futures opérations d'assaut et de reconnaissance. Ce plan a été élaboré en raison du manque croissant de personnel qualifié pouvant être formé au pilotage de tels hélicoptères. Le ministère de la Défense envisage également d'adopter une variété de drones, notamment des véhicules terrestres sans pilote (UGV), des véhicules de surface sans pilote (USV) et des véhicules sous-marins sans pilote (UUV) pour un déploiement aux côtés des drones. De plus, la JSDF prévoit de disposer de drones pouvant fonctionner en conjonction avec de nouveaux avions de chasse d'ici 2035. Parmi les drones étudiés figurent les modèles MQ-9 Reaper et Bayraktar TB2. La JSDF exploite actuellement des drones Global Hawks et ScanEagle.
Depuis la guerre en Ukraine, les drones sont considérés par diverses armées comme une nouvelle plateforme essentielle qui remanie les tactiques sur le champ de bataille. C'est en raison de cette guerre que le ministère de la Défense envisage d'utiliser des drones d'attaque pour la défense des îles Nansei et Ryukyu. Parmi les exemples de drones testés au cours de l'exercice 2023 figurent les munitions à rôdeur Harop et Switchblade.
Un autre exemple significatif de l’utilisation de nouvelles technologies est le lancement de la frégate de classe Mogami dans les forces d’autodéfense maritimes japonaises (JMSDF), le premier navire ayant été officiellement mis en service dans la JMSDF en avril 2022. La frégate a été construite avec Mitsubishi Heavy Industries (MHI) comme entrepreneur principal et Mitsui Engineering & Shipbuilding comme sous-traitant. Le point fort de cette construction est la taille de l’équipage. Les frégates de classe Mogami ont été conçues pour être exploitées par un équipage de 90 marins, une réduction marquée par rapport à ses prédécesseurs, le destroyer d’escorte de classe Abukama et le destroyer de classe Asagiri. La classe Abukama nécessite 120 marins pour fonctionner tandis que la classe Asagiri nécessite 220 marins.
Ce qui distingue la classe Mogami, c'est l'utilisation de systèmes automatisés, comme le centre d'information de combat (CIC) avancé. Cette fonctionnalité permet aux marins travaillant dans le CIC d'effectuer diverses tâches, notamment la direction, l'ingénierie, la navigation, le contrôle des dommages, la lutte contre les incendies et les communications. Elle comprend également la technologie de réalité augmentée dans la navigation sur le terrain et la guerre asymétrique.
Des exemples de technologies émergentes employées dans les frégates de classe Mogami sont désormais utilisés pour élaborer des concepts de conception pour la prochaine vague de plates-formes navales. Selon le vice-amiral de la JMSDF Imayoshi Shinichi, le destroyer avancé 13DDX reprendra des concepts de conception basés sur la classe Mogami parmi d'autres navires de guerre en service dans la JMSDF. Il explique en outre l'intégration de divers concepts technologiques, tels que l'installation de davantage de systèmes automatisés avec le système de gestion de combat, l'utilisation de l'IA pour la connaissance de la situation et la prise de décision, et l'inclusion de nouveaux systèmes d'armes tels que les armes à énergie dirigée (DEW) et les canons électromagnétiques (EM). Le MOD a précédemment signalé qu'un test de prototype avait été effectué en octobre 2023 avec un canon électromagnétique monté sur le pont du JS Asuka.
Les plans visant à mettre en œuvre ces concepts de conception et de technologie sont une réponse aux directives soulevées dans le document d'orientation de la stratégie de sécurité nationale japonaise (NSS) publié en décembre 2022. Parmi les domaines évoqués par la NSS figurent la guerre de l'information, les systèmes sans équipage et la logistique. La mise en service des destroyers de classe Mogami et des futurs destroyers 13DDX servirait de preuve pour montrer que la JSDF trouve activement des moyens d'utiliser la technologie pour maintenir sa préparation militaire et répondre aux nouvelles menaces géopolitiques.