On connaît l’omniprésence de la nature dans les principaux mythes fondateurs de la majorité des peuples pour ne pas dire tous les peuples. L’eau, la terre, le feu, le vent créent, échangent, mutent, s’assemblent. Chaque élément a son rôle mêlé à celui de la faune et de la flore, souvent surnaturelles mais qui symbolisent des entités et des conditions concrètes et matérielles faisant sens pour l’humain.
A la lecture de « Signes, symboles et mythes » de Luc Benoist, la topologie de notre environnement et ses origines prennent une tournure plus imagée. On comprend comment l’humain a eu recours aux symboles et aux idées dans l’optique d’offrir une logique à ce qui l’entoure, à sa vie. Les mots sont nés afin de garantir une continuité à l’humanité et de la confronter à la substance de toute chose.
Pour ma part, j’ai été interpellée par le passage qui évoque les mythes du monde terrestre se rapportant à la naissance de la vie et à l’agriculture. La Terre-Mère surgit du nom de Cybèle, « la créatrice de l’humanité », une déesse phrygienne, ou Gaïa, déesse primordiale dans la mythologie grecque. Puis, l’eau permet la poursuite de la vie. L’arbre occupe aussi une place majeure à l’image du récit d’Adam et Eve ou dans la mythologie nordique, Yggdrasil, l’arbre du monde sur lequel reposent les neuf royaumes.
Ces récits fondent une culture. Toute tradition a toujours pris au sérieux l’impact des légendes collectives dans le but de créer une communauté unie et une force coercitive douce et suggestive. Ces légendes fondaient un esprit commun et s’appuyaient sur la nature en tant qu’elle faisait partie intégrante de la vie du peuple. Des rites confirmaient en parallèle leur importance.
Aujourd’hui, nous n’entendons pas de la même oreille ces mêmes histoires. Évidemment, et c’est bien naturel, elles ne peuvent que résonner de manière anachronique. Elles n’ont plus rien avoir avec nos préoccupations modernes. Elles sont de simples comptines enfantines.
De manière analogique, cette dissonance s’applique à la nature en elle-même et à ses procédés de base. Par exemple, la plupart d’entre nous percevons l’agriculture, le travail de la terre comme une histoire, celle de la petite poule rousse peut-être qui doit réaliser une galette en commençant par labourer son champ, celle des « Animaux du bois de quat’sous » ou encore les nombreuses fables de Jean de la Fontaine qui rendent humaine une nature sauvage.
Nous sommes habitués à soumettre la nature à nos besoins moralisateurs. Cependant, lorsque l’Homme est coupé de la verdure, ne sait pas comment faire du pain ou n’entre en contact qu’avec un air pollué dénué de ses vertus revitalisantes, le substrat de ces histoires s’amaigrit. Une morale… Un divertissement…
En somme, d’abord, les mythes ont utilisé la nature pour divertir ou chercher les raisons de notre présence sur Terre. Puis, tellement éloignés de toutes ces considérations terre-à-terre, nous avons mythifié la nature elle-même, non plus sous un angle fantastique mais en rendant exceptionnel, mythique, le simple fait de faire du pain. Ce deuxième volet nous en éloigne encore davantage. Nous stagnons dans une vie proche de réalités économiques, sociales et familiales mais rarement écologiques au sens où nous percevons la nature dans sa proximité. Elle est désormais un mythe lointain. Un mythe d’un autre temps. Une histoire qui est bonne pour être racontée aux enfants.
« L’Homme fait partie de la nature et la guerre qu’il mène contre elle est inévitablement une guerre contre lui-même », disait Rachel Carson.
Il n’est pas question de dénaturer notre besoin de conter, de se référer à des histoires mais plutôt de réfléchir à ce que nous en retenons. A l’école, vos enseignants ont-ils insisté sur la place qu’occupait la nature dans telle ou telle histoire ? La morale ou un certain contexte social étaient de mise mais on délaissait tout le versant naturel.
La nature n’est pas qu’un mythe, elle vit autour de nous. De plus en plus d’initiatives émergent pour rendre réels la culture de la terre ou le besoin de symbiose avec la verdure. Les prises de conscience se multiplient. Il est grand temps de prendre la nature au sérieux et non comme une simple histoire plaisante.
Les nébulations d’Estelle Gautier