L’Arabie saoudite pourrait accéder à la technologie nucléaire grâce à des accords avec la Chine. Le royaume entraînerait alors une course à l’armement nucléaire dans la région.
L’Arabie saoudite a construit, avec l’aide de la Chine, une installation d’extraction du yellowcake d’uranium. Une nouvelle étape dans la volonté du royaume d’acquérir la technologie nucléaire.
L’Arabie saoudite a nié la construction d’une installation de yellowacake d’uranium, mais a insisté sur le fait que l’exploitation de ses réserves d’uranium faisait partie de sa stratégie de diversification économique. Le ministère saoudien de l’énergie a déclaré qu’il coopérait avec la Chine dans des aspects non spécifiés de l’exploration de l’uranium.
L’orientation nucléaire de l’Arabie saoudite sert divers objectifs: diversification de son économie, réduction de sa dépendance aux combustibles fossiles, contrecarrer une future capacité nucléaire iranienne potentielle et intensifier les efforts pour faire de l’Arabie saoudite la plus grande puissance militaire du Moyen-Orient.
L’Iran, la Turquie et Israël en embuscade
La course au nucléaire des saoudiens est susceptible de renforcer la volonté iranienne, d’alimenter les ambitions de la Turquie et d’accroître les craintes israéliennes que sa supériorité militaire régionale ne soit compromise.
En 2018, Donald Trump a choisi de se retirer de l’Accord de Vienne entre l’Iran et les puissances occidentales sur le nucléaire. Plutôt que le dialogue, le Président américain a décidé d’imposer de nouvelles sanctions économiques encore plus sévères. Depuis, Téhéran a indiqué avoir repris son programme nucléaire et pourrait dans les prochaines années menacer directement Israël grâce à des missiles balistiques améliorés et dévastateurs.
La Turquie souhaite également jouer un rôle important au Moyen-Orient depuis le désengagement américain. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déjà fait savoir que son pays lorgnait sur la technologie nucléaire. Si ses deux principaux rivaux dans la région, à savoir l’Iran et l’Arabie saoudite, se dotaient de l’arme nucléaire, Ankara ne manquera pas de développer sa propre capacité nucléaire.
Enfin, Israël pourrait bien s’opposer fermement à l’obtention de la technologie nucléaire par Riyad. Malgré des relations (informelles) qui se sont réchauffées, Tel Aviv souhaite maintenir sa supériorité militaire dans la région et s’oppose à ce que ses voisins possèdent des armes et technologies ultra-développées comme le nucléaire ou l’avion de chasse américain F-35.
«Pour Israël, une capacité militaire nucléaire saoudienne est une ligne rouge qu’il sera prêt à appliquer», a déclaré Sigurd Neubauer , auteur d’un livre récemment publié sur les relations israéliennes avec les pays du Golfe.
Le meilleur exemple est la dernière déclaration de Benyamin Netanyahou sur l’acquisition par les Emirats Arabes Unis d’avions de chasse F-35.
«L’ accord de paix avec les Émirats arabes unis ne comprend aucune clause à ce sujet, et les États-Unis ont précisé à Israël qu’ils préserveraient toujours l’avantage qualitatif d’Israël.
Selon le bureau du Premier ministre, Netanyahu «s’est opposé à la vente d’avions F-35 et d’autres armes avancées de toutes sortes au Moyen-Orient, y compris les États arabes qui font la paix avec l’État d’Israël. Il a ajouté qu’il avait exprimé cette position ces derniers mois à l’ambassadeur américain en Israël David Friedman et au secrétaire d’État américain Mike Pompeo.
Des accords et un traité
Pour faire avancer son objectif de construire 16 réacteurs nucléaires d’ici 2030 pour un coût de 100 milliards de dollars américains, l’Arabie saoudite a créé la Cité des énergies atomiques et renouvelables du roi Abdallah, consacrée à la recherche et à l’application de la technologie nucléaire. Les saoudiens ont également renforcé les filières scientifiques pour être autonomes dans la gestion du nucléaire.
Les accords signés avec la Chine, pour plusieurs dizaines de milliards de dollars, impliquent notamment une étude de faisabilité pour la construction de centrales nucléaires refroidies au gaz à haute température (HTGR) en Arabie saoudite ainsi qu’une coopération en matière de propriété intellectuelle et le développement d’une chaîne d’approvisionnement industriel nationale pour les HTGR à construire dans le Royaume.
Si les Etats-Unis acceptent la création d’une centrale nucléaire, ce qui reste pour l’instant largement incertain, l’Arabie Saoudite devra signer le Protocole additionnel au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ( NPT). Au cours des 18 derniers mois, les saoudiens n’ont pas montré d’empressement à accepter les garanties américaines. Pour autant, Riyad ne l’a jamais exclu publiquement.
Le malaise a été encore accru depuis que des images satellites ont montré que le royaume construisait un site de production de missiles balistiques dans une région désertique isolée. Les images suggéraient que l’installation ressemblait à un site similaire d’énergie nucléaire au Pakistan.
Les liens entre le Pakistan et l’Arabie saoudite au sujet du programme nucléaire pakistanais ne font aucun doute. Ryad a soutenu financièrement Islamabad pour le développement de sa bombe nucléaire et peut attendre en retour l’appui des pakistanais pour construire la sienne si nécessaire.
Incertitudes politiques
La situation politique en Arabie saoudite montre une instabilité croissante au sein même de la famille royale. Les différents courants qui s’opposent dans les hautes sphères pourraient profiter des scandales à répétition du Prince héritier pour exiger un remplaçant. Le royaume pourrait également faire face à des troubles sociaux à cause de l’augmentation des taxes pour les étrangers comme pour les saoudiens.
Riyad a introduit des mesures d’austérité pour combler son déficit qui se creuse. Le pays fait face à une importante récession notamment à cause de la chute du prix du pétrole. Face à l’explosion de ses dettes, le royaume a supprimé l’indemnité de vie chère pour les employés de la fonction publique et a triplé la TVA pour augmenter les recettes de l’État. La monarchie a également augmenté les taxes pour les étrangers aggravant la précarité des travailleurs asiatiques notamment.
En plus de l’insécurité économique et sociale dans le pays, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) mène une politique autoritaire voire répressive face à ses opposants. De nombreux membres de sa famille Saoud ont été placés en résidence surveillée et accusent MBS de les racketter. Les opposants politiques ou religieux sont mis en prison quand ils ne sont pas découpés en morceaux comme le célèbre journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi.
De plus, Les Etats-Unis n’apprécient guère les choix géopolitiques de Mohammed Ben Salman qui depuis son arrivée s’est rapproché de la Chine et de la Russie. Selon Saad al-Jabri, Riyad aurait apporté son soutien à Vladimir Poutine lors de son offensive militaire en Syrie en faveur de Bachar Al Assad. Cette position est opposée à celle de ses alliés occidentaux qui ont condamné l’intervention militaire russe. Washington, et notamment la CIA, préférerait miser sur Mohammed Ben Nayef, actuellement emprisonné par MBS et ex-prince héritier avant le coup de force de MBS.
Le futur énergétique de l’Arabie saoudite
Mais face à l’urgence climatique et une production de pétrole qui n’est pas illimitée, l’Arabie Saoudite a tout intérêt à développer d’autres solutions énergétiques. Le royaume est totalement dépendant de ses revenues en hydrocarbures.
Le pétrole et le gaz n’étant pas renouvelables, le royaume est obligé de travailler sur des énergies alternatives comme le nucléaire et les panneaux solaires pour alimenter les foyers saoudiens en électricité. Selon de nombreux experts, le pays aurait déjà connu son pic pétrolier malgré son silence sur ses réserves pétrolifères.
La question climatique oblige également d’importantes transformations énergétiques dans les trente prochaines années. Les principales puissances du globe se sont engagées à une neutralité carbone pour 2050. La sobriété énergétique, le nucléaire et les énergies renouvelables devraient remplacer les énergies fossiles afin de lutter contre le réchauffement climatique.
BP, Total et d’autres géants de l’énergie se sont déjà engagés à changer totalement leur modèle économique. L’ex-British Petroleum a annoncé un revirement stratégique avec pour objectif de réduire de 40% sa production d’énergie fossile à l’horizon 2030. Total a annoncé son ambition d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 et accélère sa diversification dans les énergies renouvelables notamment l’éolien et le solaire.
L’Arabie saoudite se trouve à la croisée des chemins. Le royaume doit faire des choix stratégiques importants sans contrarier son allié historique américain.