La recherche innovante introduit une méthode pratique et sans modèle pour explorer les propriétés topologiques des matériaux, améliorant ainsi la portée et l’efficacité des études topologiques.
La branche des mathématiques connue sous le nom de topologie est devenue une pierre angulaire de la physique moderne grâce aux propriétés remarquables – et surtout fiables – qu’elle peut conférer à un matériau ou à un système. Malheureusement, identifier des systèmes topologiques, ou même en concevoir de nouveaux, est généralement un processus fastidieux qui nécessite de faire correspondre exactement le système physique à un modèle mathématique.
Des chercheurs de l’Université d’Amsterdam et de l’École Normale Supérieure de Lyon ont démontré une méthode d’identification de topologie sans modèle, permettant la découverte de nouveaux matériaux topologiques en utilisant une approche purement expérimentale.
L’évolution de la topologie des mathématiques à la physique
La topologie englobe les propriétés d’un système qui ne peuvent être modifiées par aucune « déformation douce ». Comme vous pourrez peut-être le constater à partir de cette description plutôt formelle et abstraite, la topologie a commencé sa vie en tant que branche des mathématiques. Cependant, au cours des dernières décennies, les physiciens ont démontré que les mathématiques qui sous-tendent la topologie peuvent avoir des conséquences très réelles. Les effets topologiques peuvent être observés dans un large éventail de systèmes physiques, depuis les électrons individuels jusqu’aux courants océaniques à grande échelle.
Un exemple concret : dans le domaine de la matière quantique, la topologie est devenue célèbre grâce aux isolants dits topologiques. Ces matériaux ne conduisent pas l’électricité à travers leur masse, mais les électrons se déplacent librement le long de leurs surfaces ou de leurs bords. Cette conduction de surface persistera, sans être gênée par les imperfections du matériau, tant que vous ne ferez pas quelque chose de radical, comme modifier la totalité de la structure atomique du matériau. De plus, les courants sur les surfaces ou les bords d’un isolant topologique ont une direction définie (en fonction du spin de l’électron), encore une fois imposée par la nature topologique de la structure électronique.
De telles caractéristiques topologiques peuvent avoir des applications très utiles, et la topologie est devenue l’une des frontières de la science des matériaux. Outre l’identification des matériaux topologiques dans la nature, les efforts de recherche parallèles se concentrent sur la conception de matériaux topologiques synthétiques de bas en haut. États de bord topologiques des structures mécaniques connus sous le nom de ‘métamatériaux‘ présentent des opportunités inégalées pour obtenir des réponses fiables en matière de guidage, de détection, de calcul et de filtrage des ondes.
Modèles mathématiques peu pratiques
La recherche dans ce domaine est ralentie par le manque de moyens expérimentaux pour étudier la nature topologique d’un système. La nécessité de faire correspondre un modèle mathématique à un système physique limite la recherche aux matériaux pour lesquels nous disposons déjà d’une description théorique et constitue un goulot d’étranglement pour l’identification et la conception de matériaux topologiques. Pour résoudre ce problème, Xiaofei Guo et Corentin Coulais du Laboratoire des matériaux pour machines de l’Université d’Amsterdam se sont associés à Marcelo Guzmán, David Carpentier et Denis Bartolo de l’ENS Lyon.
« Jusqu’à présent, la plupart des expériences visaient à prouver des théories ou à présenter des prédictions théoriques dans des revues », explique Guo. «Nous avons trouvé un moyen de mesurer les points mous ou fragiles topologiquement protégés dans des métamatériaux mécaniques inconnus sans avoir besoin de modélisation. Notre approche permet une exploration et une caractérisation pratiques des propriétés des matériaux sans plonger dans des cadres théoriques complexes.
Applications pratiques et implications futures
Les chercheurs ont démontré leur méthode avec des métamatériaux mécaniques constitués d’un réseau de rotors (tiges rigides pouvant tourner) reliés par des ressorts élastiques. La topologie de ces systèmes peut rendre certaines régions d’un tel métamatériau particulièrement souples ou rigides.
Bartolo explique : « Nous avons réalisé que sonder sélectivement un matériau localement pouvait nous fournir toutes les informations nécessaires pour dévoiler les points mous ou fragiles de la structure, même dans des régions éloignées de nos sondes. Grâce à cela, nous avons développé un protocole très pratique applicable à une large gamme de matériaux et métamatériaux.
En poussant des rotors individuels dans le métamatériau et en suivant les déplacements et les allongements qui en résultent dans le système, les chercheurs ont identifié différentes « molécules mécaniques » : des groupes de rotors et de ressorts qui se déplacent comme une seule unité. Par analogie avec les systèmes électrostatiques, ils ont ensuite déterminé une « polarisation » efficace de chaque molécule, calculée à partir des mouvements des molécules. Cette polarisation va soudainement changer de direction en présence d’une caractéristique topologique, ce qui rend la topologie inhérente facile à identifier.
Les chercheurs ont appliqué leur méthode à divers métamatériaux mécaniques, dont certains étaient topologiques grâce à des études antérieures, tandis que d’autres étaient de nouvelles structures sans modèle mathématique associé. Les résultats démontrent que la polarisation déterminée expérimentalement est très efficace pour mettre en évidence les caractéristiques topologiques.
Cette approche sans modèle ne se limite pas aux systèmes mécaniques ; la même méthode pourrait être appliquée aux structures photoniques ou acoustiques. Cela rendra la topologie accessible à un plus grand nombre de physiciens et d’ingénieurs et facilitera la construction de matériaux fonctionnels allant au-delà des démonstrations en laboratoire.