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Qu’est donc devenu « l’Axe du Mal » ?

L’Axe du Mal
L’Axe du Mal

Leitmotiv puissant des années Bush et de leur guerre contre la terreur, le concept d’ “Axe du Mal” est-il un subterfuge de plus pour oublier des maux autrement plus graves ? Dissection à la machette d’une stratégie en mutation.

« Versez le sang du vilain dans une bassine et celui du gentilhomme dans une autre : quelle différence doit y être prouvée ? »

Thomas Becon, 1512-1567

Le Bad Guy est éternel

Dans la liturgie hollywoodienne qui inspire les leaders du monde libre, le Bad Guy est éternel et aura toujours une sale gueule : la figure du vilain doit être immuable, foncièrement malfaisant, il est l’adversaire absolu qu’il faut combattre intellectuellement, économiquement, militairement. Or l’ennemi représente avant tout un mal nécessaire, une symbolique vitale pour la survie de la cause défendue de part et d’autre. Quand bien même ce dernier doit être pourfendu sur une base quotidienne, il doit être chéri, choyé, car il est infiniment précieux.

Sur lui se cristallise le ressentiment, le rejet. Il est le ciment de la cohésion sociale et le fondement de l’action extérieure, la raison d’exister de la baïonnette et du pic au bout du drapeau. Il mobilise les troupes, rassemble les conscrits, motive les louveteaux dans les jeunes sections. Un authentique ennemi sera toujours fidèle dans sa démarche, constant dans ses intentions, viscéralement hostile, honnêtement mauvais. A l’inverse, l’allié est versatile, contrariant, tire-au-flanc, chiant dans les bottes, quémandant en permanence de l’attention et des fonds, un peu comme une copine insuffisamment baisée.

Un authentique ennemi sera toujours fidèle dans sa démarche, constant dans ses intentions, viscéralement hostile, honnêtement mauvais.

Pour exposer l’adversaire à la vindicte du bon peuple, le gouvernant ne doit pas craindre la caricature car elle est l’essence même de la définition de l’ennemi et doit être intégrée et digérée par tous, à tous les âges. C’est l’Emmanuel Goldstein d’Orwell, l’insaisissable Charlie dans la jungle vietnamienne, le bolchevik mangeur d’enfants, le cruel Oncle Sam qu’on brûle rituellement dans certaines manifestations… ou encore le barbu rappeur-dealeur-terroriste de nos quartiers malfamés. Il faut armer et nourrir l’ennemi, le préserver quand on entend l’annihiler, le remplacer s’il fait défaut.

The Evil Empire Strikes Back

Qu’est donc devenu "l’Axe du Mal" ?

Avec l’élection de Ronald Reagan en 1980, la rhétorique fédératrice va trouver une illustration imparable, celle de « l’Empire du Mal » représenté par l’URSS et ses satellites. Cette définition de puissance occulte, adversaire résolu de la liberté et de l’économie de marché, avait constitué un argument marketing des plus brillants de l’histoire de la Guerre Froide. L’ancienne vedette de sous-films de cowboys, qui à force de provocations, a presque poussé les dirigeants soviétiques grabataires à la faute collective, avait produit un concept puissant de mobilisation, clé de voûte de la nouvelle doctrine américaine dans la lutte contre le communisme : Initiative de Défense Stratégique (plus connue sous le nom de « Guerre des Etoiles »), crise des euromissiles, appui aux moudjahidines afghans contre les russes à travers l’opération Cyclone… La construction édifiée par l’administration Reagan, consolidée sur deux mandats entre 1980 et 1988, a permis non seulement de raffermir une situation intenable d’un point de vue de politique interne mais de reprendre la main sur des alliés européens désunis.

Au même moment, le bloc occidental payait l’addition de la fin du cycle des Trente Glorieuses, du contre-choc pétrolier, l’explosion des déficits publics et autres plaies bibliques contemporaines. Ce furent les années Yuppies (lointains ancêtres des Hipsters, NDLR), la déconstruction thatchérienne et l’époque bénie des productions Golan-Globus. Malgré les protestations chroniques des opinions et une chanson emblématique (Russians de Sting, 1985), la machine de Reagan demeurait inattaquable. Toutefois, le résultat a manqué de tourner au fiasco, à la faveur du Wind of Changequi a bousculé l’équilibre de la terreur et fait chuter le rideau de fer à l’aube des années 1990.

Il faut sauver le soldat Ahmadinejad

Qu’est donc devenu "l’Axe du Mal" ?

S’ensuivit le concept de « Nouvel Ordre Mondial » prôné par George Bush père (de grâce, ne surtout pas mélanger avec la soupe conspirationniste), qui découle aussi d’un principe signifiant la victoire d’un système sur un autre. Hors de la logique de confrontation, il s’agit alors de procéder à une redistribution des cartes, sans passer par Yalta. Cependant, incapables de prédire la chute du mur et de préparer une suite crédible, les alliés et à leur tête le parrain US sont pris au dépourvu. Ils ont d’abord festoyé dans la précipitation leur victoire sur le pacte de Varsovie, puis ont accusé le coup. La débandade : plus d’ennemis, plus de raison d’alimenter le complexe militaro-industriel, plus de raison d’être soi. On courait désormais le risque de répondre aux desiderata d’un public soulagé par la disparition de la menace communiste et animé d’idéaux futiles comme la justice sociale, une fiscalité équitable ou encore la préservation de l’écologie…

Sur un plan théorique, F. Fukuyama ose prédire « La fin de l’histoire », peu avant la chute du mur, pariant sur la liquéfaction des dictatures et leur remplacement par des processus démocratiques pluralistes, sanctionnant la victoire définitive du libéralisme. Toutefois, prélude technique au fumeux « Choc des civilisations » d’Huntington, il n’est pas pertinent d’appliquer intégralement ces conclusions pour proclamer un temps figé. Les années 2000 allaient montrer que l’histoire pouvait rebondir de manière spectaculaire et accélérée. Le 11 septembre 2001 et les guerres qui ont suivi ont contribué à remplacer le vide contextuel qui prévalait depuis le démantèlement du bloc de l’Est. L’impératif de la guerre contre le terrorisme fait alors évoluer la rhétorique centrale vers la notion d’Axe du Mal (Axis of Evil), exposée par l’inoubliable George « Dubya » Bush lors du discours sur l’Etat de l’Union en 2002.

Cet « Axe », comme une référence subliminale à l’association entre l’Italie fasciste et le national-socialisme du XXe siècle, serait le nouvel objectif de l’action extérieure US et celle englobant sa sphère d’influence, volontaire (OTAN) ou passive (UE et consorts.) Un groupement hétéroclite de rogue states (Etats voyous, pour ne pas stigmatiser des populations ou un groupe culturel précis) est désigné : on y retrouve pêle-mêle la Corée du Nord, l’Iran, et l’Irak sous le régime de Saddam Hussein. Or, au-delà du club officiel des salauds de service, d’autres sous-ensembles pouvaient virtuellement figurer dans cet Axe. Le “programme afghan” (cf. Opération Cyclone) ayant fourni une impulsion décisive à une nouvelle forme de menace, dite « asymétrique », a fourni un adversaire inédit et immédiatement exploitable. Au travers des nébuleuses radicales islamistes, du Yémen aux Philippines, l’adjonction de pions malléables comme feu Kadhafi et autres victimes expiatoires des révoltes arabes, et enfin la réactivation du péril iranien, la stratégie de containmentsemblait retrouver une dynamique héritière.

Mais le nouvel ennemi est relativement peu fiable : morcelé, flou, démotivé. Les dictateurs dans la sphère arabe arrivent à bout de souffle, les coups d’éclats sanglants des groupements islamistes ont été surconsommés, la Corée du Nord offre un visage comique à défaut de menacer concrètement les équilibres régionaux. Difficile de capitaliser sur le long terme, il faut innover, trouver une excuse. Heureusement il y a la l’Iran, sponsorisé en coulisses par la Chine et la Russie de Poutine. Téhéran qui se plie docilement aux moindres exigences scénaristiques de leurs adversaires, les ennemis parfaits, remplissant toutes les cases du cahier des charges du méchant régional. La menace mondiale étant par principe annulée par la dissuasion nucléaire et le mouvement de globalisation économique nous impliquant tous jusqu’à la gorge, il reste les points de tension régionaux, relativement aisés à manager quand on a les moyens tactiques. Les leviers mis jeu restent inchangés : armement, gisements énergétiques, ressources… tout y est rentable, y compris un conflit atomique de moyenne intensité. Mais on peut également poser une question dérangeante, insidieuse : une fois l’Axe du Mal soldé sous sa forme actuelle, par qui sera-t-il remplacé ? Ceux qui combattent Goldman Sachs ?

Qu’est donc devenu "l’Axe du Mal" ?
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