Arthur Keller, étudie les risques systémiques et les vertus du récit comme levier de mobilisation, il est également l’une des figures francophones des questions liées à l’effondrement.
Sur son mur Facebook, il met en garde dans un long message ceux qui « entretiennent une vision caricaturale et « romantique » de l’effondrement.
« Message à l’attention de ceux qui entretiennent une vision caricaturale et « romantique » de l’effondrement et s’imaginent, demain, en durs à cuire rompus aux techniques de survie et/ou d’autonomie. Tenez-vous le pour dit : en situation de descente énergétique et matérielle, ceux qui survivent sont ceux qui s’entraident.
Ce n’est pas là un vœu pieux, ou une bisounourserie candide, mais bien un invariant de l’Évolution. Dans une situation où la part du gâteau diminue mais pas la population (dans un premier temps), l’individu moyen peut être tenté de se laisser aller à des mœurs relevant de la rivalité… Et ces mœurs constituent une des raisons pour lesquelles une régulation opère par réduction barbare des populations (conflits meurtriers, maladie, famine, etc.). Alors qu’en réalité, dès que les gens s’organisent coopérativement et se partagent la gestion du fardeau, la descente est plus douce et vivable pour tous. La sauvagerie n’est pas une fatalité, elle n’est que la résultante d’une explosion du chacun-pour-soi.
Une relative viabilité écologique, alimentaire, énergétique, sanitaire et sociale pourrait se mettre en place si seulement la collaboration supplantait les individualismes débridés qui sont le ferment du chaos et le bâton dans la roue de la résilience.
J’informe tous ceux qui s’engagent dans des projets individualistes ou micro-collectifs : VOUS NE SEREZ JAMAIS RÉSILIENTS AINSI. LA RÉSILIENCE S’ORGANISE COLLECTIVEMENT À L’ÉCHELLE TERRITORIALE. Et tout projet qui n’aura pas pour stratégie première de stimuler l’émergence de réseaux complémentaires et solidaires à l’échelle d’un territoire ne pourra qu’échouer. Tout projet qui n’aura pas, au cœur, la finalité d’instaurer un nouveau rapport à la nature et au reste de ce qui vit ne pourra que déboucher sur un système bancal et féroce.
Force est de remarquer qu’une proportion importante de ceux qui prennent conscience des risques d’effondrement se mettent à la chasse (à l’arc, parfois). La peur de l’avenir qui est sous-jacente à ce type de posture opérera comme avec un chien sauvage : plus vous avez peur, plus vous avez de chances de vous faire mordre. La peur est une prophétie autoréalisatrice.
Par conséquent, si vous ne réagissez pas et si vous n’impulsez pas un état d’esprit constructif là où vous vous trouvez, si vous ne démontrez pas qu’un sursaut d’intelligence peut surpasser les pulsions psychotiques et mesquines, pour vous le pire est certain (du point de vue écosystémique et, par contrecoup, humain). Plus vous serez nombreux à opter pour ce type de comportements archaïques plutôt que de tenter un renouveau culturel dans le rapport que vous entretenez au reste du vivant, plus vous aurez de chances de vous faire mordre par l’existence. En agissant comme des brutes, vous condamnez une grande part de votre communauté/collectivité à une mort sûre (morsure ?).
De même, j’observe qu’un grand nombre de celles et ceux qui se mettent à la permaculture (et autres démarches d’ « autonomisation ») ne cherchent qu’à utiliser le vivant et ne le respectent pas. Qu’ils et elles retiennent de la permaculture ce qui leur semble directement utile pour leur pomme sans en respecter les principes fondateurs. Ils ou elles mécomprennent les logiques d’interaction écologique entre espèces et la nécessité de réensauvagement, le besoin de ficher la paix à ce qui vit et de lui donner un coup de pouce plutôt que de l’exploiter. Ils ou elles tuent les animaux et insectes qui les dérangent sans se poser de questions sur pourquoi ceux-ci sont là, à quoi ils servent et comment gérer les dysfonctionnements sans forcément les exterminer. Ils ou elles ne produisent pas le surplus qu’ils sont censés redistribuer à la nature. Ils ou elles éradiquent certaines espèces (type frelons) alors qu’ils sont la plupart du temps infichus de faire la différence entre les européens et les asiatiques et se retrouvent à tuer des espèces déjà en danger. Ils ou elles installent des ruchers pensant naïvement améliorer la situation alors que ça la fait empirer, en réalité.
Et cetera.
Si vous vous reconnaissez dans tout ou partie de cette description, ne vous offusquez pas, je ne vous attaque pas. Sachez seulement que votre démarche n’est pas la bonne. Je ne vous donne pas mon opinion personnelle mais mon avis de spécialiste des systèmes résilients. Ça ne marchera pas. Les quelques-uns parmi vous (ultra minoritaires) qui réussiront à devenir réellement résilients ne pourront l’être que temporairement. Jusqu’à l’arrivée des autres.
Les autres arrivent tôt ou tard.
Et alors, vous ferez quoi ?
La bonne démarche consiste à tout entreprendre, avec ouverture d’esprit et en s’efforçant d’être inspirant, pour co-organiser des systèmes résilients et dignes à l’échelle territoriale. Je ne le répèterai jamais assez. Cela requiert de bâtir – patiemment – des réseaux basés sur la confiance réciproque. Cela requiert de réévaluer notre rapport aux autres et d’apprendre à travailler ensemble. Cela requiert de repenser le rapport utilitariste à la nature qu’on nous a trop longtemps inculqué (bêtement, sans réflexion rationnelle ni philosophique) et qui accentue nos vulnérabilités. Sans une réinvention radicale de la nature de nos interactions avec autrui et de notre place dans le maillage du vivant, nulle société stable et désirable ne sera jamais envisageable : le monde se résumera à une somme de rapports de force dans un contexte général d’effondrement. Tant qu’on exploitera les animaux non-humains, tant qu’on se servira dans la nature comme dans un garde-manger nous appartenant, tant qu’on se comportera en maîtres et possesseurs de ce qui vit, tant que chacun adoptera de son côté des attitudes individualistes et de domination, alors nos sociétés seront à la fois non viables pour la plupart (déséquilibres écologiques, psychologiques et moraux, donc sociétaux) et non vivables pour tous (cruelles et terrifiantes).
CRÉEZ DES LIENS, TRAVAILLEZ EN RÉSEAU, CONSTRUISEZ DE LA RÉSILIENCE TERRITORIALE ET MONTREZ L’EXEMPLE DE FAÇON INSPIRANTE. SANS PLUS ATTENDRE. Autour de vous, vous verrez le jaillissement d’espoirs lucides, vous ferez diminuer la peur de l’avenir et donc les risques de prolifération des individualismes : c’est ainsi que se dessineront enfin des perspectives d’un monde digne d’être vécu ».