Des scientifiques de l’EPFL ont développé une plateforme optomécanique de circuits supraconducteurs qui démontre une décohérence quantique ultra-faible et un contrôle quantique haute fidélité. Leur travail révolutionnaire avec un « condensateur à tête de tambour à vide » a conduit à la plus longue durée de vie d’un état quantique dans un oscillateur mécanique jamais réalisée, ouvrant la voie à de nouvelles applications dans l’informatique quantique et la détection.
Au cours de la dernière décennie, les scientifiques ont réalisé d’énormes progrès dans la génération de phénomènes quantiques dans les systèmes mécaniques. Ce qui semblait impossible il y a seulement quinze ans est devenu réalité, puisque les chercheurs ont réussi à créer des états quantiques dans des objets mécaniques macroscopiques.
En couplant ces oscillateurs mécaniques à des photons lumineux – connus sous le nom de « systèmes optomécaniques » – les scientifiques ont pu les refroidir jusqu’à leur niveau d’énergie le plus bas, proche de la limite quantique. Ils ont également réussi à les « presser » pour réduire encore plus leurs vibrations, et à les enchevêtrer les uns dans les autres. Ces progrès ont ouvert de nouvelles opportunités dans les domaines de la détection quantique, du stockage compact en informatique quantique, des tests fondamentaux de la gravité quantique et même de la recherche de matière noire.
Le dilemme du fonctionnement des systèmes optomécaniques
Afin de faire fonctionner efficacement des systèmes optomécaniques en régime quantique, les scientifiques sont confrontés à un dilemme. D’une part, les oscillateurs mécaniques doivent être correctement isolés de leur environnement pour minimiser les pertes d’énergie ; d’autre part, ils doivent être bien couplés à d’autres systèmes physiques tels que les résonateurs électromagnétiques pour les contrôler.
Pour atteindre cet équilibre, il faut maximiser la durée de vie de l’état quantique des oscillateurs, qui est affectée par les fluctuations thermiques de leur environnement et les instabilités de fréquence des oscillateurs – ce que l’on appelle dans le domaine la « décohérence ». Il s’agit d’un défi persistant dans divers systèmes, depuis les gigantesques miroirs utilisés dans les détecteurs d’ondes gravitationnelles jusqu’aux minuscules particules piégées dans le vide poussé. Comparés à d’autres technologies telles que les qubits supraconducteurs ou les pièges à ions, les systèmes opto- et électromécaniques actuels affichent encore des taux de décohérence plus élevés.
Percée à l’EPFL : décohérence quantique ultra-faible
Aujourd’hui, des scientifiques du laboratoire de Tobias J. Kippenberg de l’EPFL ont résolu le problème en développant une plate-forme optomécanique de circuit supraconducteur qui présente une décohérence quantique ultra-faible tout en maintenant un couplage optomécanique important qui aboutit à un contrôle quantique haute fidélité. L’ouvrage a été publié le 10 août dans la revue Physique naturelle.
« En termes simples, nous avons démontré la plus longue durée de vie d’un état quantique jamais atteinte dans un oscillateur mécanique, qui peut être utilisé comme composant de stockage quantique dans les systèmes d’informatique et de communication quantiques », explique Amir Youssefi, doctorant qui a dirigé le projet. « Il s’agit d’une grande réussite qui touche un large éventail de publics dans les domaines de la physique quantique, du génie électrique et du génie mécanique. »
L’élément clé : le condensateur de peau de tambour à vide
L’élément clé de cette avancée est un « condensateur à tête de tambour à vide », un élément vibrant constitué d’un mince film d’aluminium suspendu au-dessus d’une tranchée dans un substrat de silicium. Le condensateur sert de composant vibrant de l’oscillateur et forme également un circuit micro-onde résonant.
Grâce à une nouvelle technique de nanofabrication, l’équipe a considérablement réduit les pertes mécaniques dans le résonateur de la peau du tambour, atteignant un taux de décohérence thermique sans précédent de seulement 20 Hz, équivalent à une durée de vie d’un état quantique de 7,7 millisecondes – le plus long jamais atteint dans un oscillateur mécanique.
Résultats et implications
La diminution remarquable de la décohérence induite thermiquement a permis aux chercheurs d’utiliser une technique de refroidissement optomécanique, ce qui a permis d’obtenir une fidélité impressionnante de 93 % de l’occupation de l’état quantique dans l’état fondamental. De plus, l’équipe a obtenu une compression mécanique inférieure à la fluctuation de mouvement du point zéro, avec une valeur de -2,7 dB.
« Ce niveau de contrôle nous permet d’observer la libre évolution des états mécaniques comprimés en préservant son comportement quantique pendant une période prolongée de 2 millisecondes, grâce au taux de déphasage pur exceptionnellement faible de seulement 0,09 Hz dans l’oscillateur mécanique », explique Shingo Kono, qui a contribué à la recherche.
« Une telle décohérence quantique ultra-faible augmente non seulement la fidélité du contrôle quantique et de la mesure des systèmes mécaniques macroscopiques, mais bénéficiera également de l’interface avec les qubits supraconducteurs et placera le système dans un régime de paramètres adapté aux tests de gravité quantique », explique Mahdi Chegnizadeh, un autre membre de l’équipe de recherche « La durée de stockage considérablement plus longue par rapport aux qubits supraconducteurs fait de la plateforme un candidat idéal pour les applications de stockage quantique. »
L’appareil a été fabriqué au Centre de MicroNanoTechnologie (CMi) de l’EPFL.