Le retour de l’Afrique à l’ère de la guerre froide et aux coups d’État orchestrés par les deux puissances dominantes de l’époque, les États-Unis d’Amérique et l’Union soviétique, est une nouvelle très malheureuse pour le monde et en particulier pour les pays européens. En effet, face aux confrontations géopolitiques, l’Afrique peut être un fournisseur crucial de matières premières et d’énergie, de capitaux et de jeunes travailleurs.
Les récents bouleversements politiques au Niger, pays africain, qui ont impliqué un coup d’État militaire qui a renversé le président et a reçu le soutien de deux pays voisins, le Burkina Faso et la Somalie, ont suscité beaucoup d’anxiété dans le monde occidental, en particulier parmi les pays européens, et notamment en France, qui a une longue histoire et de nombreux intérêts économiques et stratégiques dans la région. Les putschistes ont démontré leur soutien à la Russie en agitant des drapeaux russes (et en démontant des drapeaux français) et en scandant des slogans pro-russes. Cela envoie un signal effrayant à l’Occident, révélant l’efficacité de la stratégie ambitieuse et secrète de Poutine visant à étendre son influence et ses intérêts en Afrique.
Lors d’un sommet qui a précédé le coup d’État et auquel ont participé des chefs d’État russes et africains, Prigozhin, l’ancien chef rebelle du groupe Wagner, est apparu en public pour la première fois depuis la rébellion et a rencontré des dirigeants africains. Cette réunion montre l’importance des groupes mercenaires comme Wagner dans la politique africaine de la Russie. Lors du sommet, Poutine a également annulé 23 milliards de dollars de dette africaine envers la Russie et a offert 90 millions de dollars supplémentaires d’aide. Il a également fait une promesse audacieuse de fournir gratuitement des céréales aux Africains au cas où l’accord sur le transport des céréales à travers la mer Noire échouerait.
Le président russe Vladimir Poutine, dont le pays est impliqué dans une guerre apparemment sans fin avec l’Ukraine, cherche à ouvrir de nouveaux fronts de confrontation avec l’Occident et, ce faisant, fait de l’Afrique un nouveau champ de bataille pour les grandes puissances. En Afrique, la Russie utilise des méthodes hybrides de type KGB et a relancé les tactiques de la guerre froide utilisées par l’Union soviétique. Moscou utilise ses mandataires africains, comme le groupe de mercenaires Wagner, pour exploiter les troubles et la fragilité de l’Afrique à son propre profit. En soutenant les dirigeants africains par une aide financière et militaire et en promouvant des régimes pro-Moscou, Moscou cherche à assurer son ancrage dans cette région vitale pour l’Occident. La stratégie de la Russie en Afrique reste inchangée malgré la rébellion de Wagner. Au lieu de s’appuyer sur un seul groupe, la Russie cherche à créer plusieurs milices comme Wagner pour diversifier ses opérations en Afrique.
La politique de la Russie en Afrique a porté atteinte aux intérêts de l’Occident, notamment de l’Europe, et a suscité une préoccupation majeure pour la France. Le coup d’État au Niger pourrait déclencher des changements politiques dans la région qui finiraient par chasser la France de la région du Sahel. L’année dernière, après neuf années d’intervention militaire continue au Mali, la France a retiré ses forces de ce pays. En effet, si les 1 500 soldats français présents au Niger sont contraints de quitter ce pays, le Tchad deviendra le seul pays de la région africaine du Sahel à accueillir une base militaire française.
La France a un enjeu vital dans cette région, notamment au Niger, pour deux raisons principales : son énergie nucléaire et sa politique migratoire. Le Niger fournit à la France 10 % de l’uranium dont elle a besoin pour alimenter ses réacteurs nucléaires, qui fournissent environ 75 % de son électricité. De plus, le Niger est un pays de transit clé pour les migrants qui tentent d’atteindre l’Europe via la Méditerranée, et la France tente de freiner ce flux en soutenant la sécurité des frontières du Niger. Une perte d’influence au Niger constituerait un sérieux revers pour les intérêts de la France. Le coup d’État au Niger a également terni l’image d’Emmanuel Macron et de l’armée et des services de renseignement français. Les agences de renseignement étrangères françaises, qui se vantaient d’avoir prédit le coup d’État de Wagner, n’ont prévu aucun des coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Cela a soulevé des doutes sur la stratégie de stabilisation de la France en Afrique, tant en Europe qu’en France. De nombreux observateurs estiment que l’échec de la France pousse les pays africains à rechercher des liens plus étroits avec la Chine et la Russie.
Les États-Unis d’Amérique n’ont pas adopté une position très ferme contre le coup d’État, bien qu’ils l’aient condamné et aient évacué leurs citoyens du Niger. Cela ne menaçait aucune intervention militaire. En effet, Washington est heureux de voir diminuer l’influence des puissances européennes, comme la France, en Afrique. Il veut également arrêter l’exportation de ressources minérales de ces pays vers l’Europe et accroître la dépendance de l’Afrique à l’égard des États-Unis.
La Russie tente d’étendre son influence en Afrique, mais elle est confrontée à plusieurs défis. Selon l’enquête Afrobaromètre, la plupart des Africains considèrent la Chine comme leur principal partenaire, tandis que la Russie jouit d’une faible popularité sur le continent. La Russie manque également d’investissements et de commerce importants en Afrique. Son volume commercial avec l’Afrique n’est que de 18 milliards de dollars, contre 282 milliards de dollars pour la Chine et 72 milliards de dollars pour les États-Unis. Moscou utilise des forces pro-militaires en Afrique pour faire avancer ses intérêts. Il recrute parmi les groupes rebelles et terroristes en Afrique et utilise leurs capacités offensives pour orchestrer et soutenir des coups d’État en faveur d’éléments pro-russes.
La Russie fait face à d’intenses pressions de la part des États-Unis et de leurs alliés, notamment européens, à propos de la guerre en Ukraine. Pour détourner l’attention de l’Europe de l’Ukraine et atténuer une partie de la pression, la Russie ouvre de nouveaux fronts de confrontation avec l’Occident dans des zones stratégiques telles que l’Afrique et le Moyen-Orient. La Russie utilise également des discours tels que la guerre imminente en Afrique pour envoyer un message à l’Occident et à l’Europe. Il les avertit que la capacité de Moscou à provoquer des destructions et à accroître les tensions ne se limite pas à l’Europe et peut également remettre en cause les intérêts de l’Occident dans d’autres régions. Le coup d’État au Niger montre également que l’Europe ne peut pas compter sur les États-Unis pour protéger sa sécurité et ses intérêts économiques. Les États-Unis ont des priorités différentes et n’investiront pas leurs ressources au nom de l’Europe. Le fait que Washington se soit contenté d’une déclaration condamnant le coup d’État au Niger en est la preuve.