Les neuroscientifiques proposent généralement un modèle optimal unique pour permettre aux animaux d’effectuer des tâches, mais les chercheurs ont découvert que les animaux utilisent souvent des stratégies imparfaites, efficaces et économes en ressources. Leur nouveau cadre révèle de nombreuses façons viables de résoudre des tâches, offrant des informations sur le comportement et le fonctionnement cérébral des animaux.
Les chercheurs ont découvert que les animaux utilisent souvent des stratégies « suffisamment bonnes » pour des tâches comme la recherche de nourriture, qui sont moins optimales mais toujours efficaces, remettant en question les conceptions traditionnelles de l'optimisation comportementale et fournissant un nouveau cadre pour comprendre les relations de ces stratégies et leur applicabilité plus large.
Lorsque les neuroscientifiques étudient les stratégies qu’un animal pourrait utiliser pour accomplir une tâche, comme trouver de la nourriture, chasser une proie ou parcourir un labyrinthe, ils suggèrent souvent un modèle unique qui décrit le moyen le plus efficace pour l’animal d’atteindre l’objectif.
Mais dans le monde réel, les animaux – et les humains – n’utilisent pas forcément la méthode optimale, qui peut être gourmande en ressources. Au lieu de cela, ils utilisent une stratégie suffisamment efficace pour faire le travail, mais qui nécessite beaucoup moins de réflexion.
Dans une nouvelle recherche, les scientifiques de Janelia ont cherché à mieux comprendre les différentes manières dont un animal pourrait résoudre avec succès un problème, au-delà de la simple meilleure stratégie.
L'ouvrage montre qu'il existe un très grand nombre de façons pour un animal d'accomplir une tâche simple de recherche de nourriture. Il établit également un cadre théorique pour comprendre ces différentes stratégies, la manière dont elles sont liées les unes aux autres et la manière dont elles résolvent le même problème de manière différente.
Certaines de ces options moins que parfaites pour accomplir une tâche fonctionnent presque aussi bien que la stratégie optimale, mais avec beaucoup moins d’efforts, ont découvert les chercheurs, libérant ainsi les animaux pour utiliser des ressources précieuses pour gérer plusieurs tâches.
« Dès que vous vous libérez de votre perfectionnisme, vous seriez surpris du nombre de façons de résoudre un problème », explique Tzuhsuan Ma, postdoctorant au laboratoire Hermundstad qui a dirigé la recherche.
Ce nouveau cadre pourrait aider les chercheurs à commencer à examiner ces stratégies « suffisamment bonnes », notamment pourquoi différentes personnes pourraient adopter différentes stratégies, comment ces stratégies pourraient fonctionner ensemble et dans quelle mesure ces stratégies sont généralisables à d’autres tâches. Cela pourrait aider à expliquer comment le cerveau permet un comportement dans le monde réel.
« Nous n’aurions jamais imaginé que ces stratégies pourraient nous aider à résoudre cette tâche, mais elles fonctionnent bien. Il est donc tout à fait possible que les animaux les utilisent également », explique Ann Hermundstad, responsable du groupe Janelia. « Elles nous donnent un nouveau vocabulaire pour comprendre le comportement. »
Au-delà de la perfection
La recherche a commencé il y a trois ans lorsque Ma a commencé à s'interroger sur les différentes stratégies qu'un animal pouvait éventuellement utiliser pour accomplir une tâche simple mais courante : choisir entre deux options où les chances d'être récompensé changent au fil du temps.
Les chercheurs se sont intéressés à un groupe de stratégies qui se situent entre les solutions optimales et les solutions complètement aléatoires : des « petits programmes » qui ont des ressources limitées mais qui font tout de même leur travail. Chaque programme spécifie un algorithme différent pour guider les actions d'un animal en fonction des observations passées, ce qui lui permet de servir de modèle de comportement animal.
Il s’avère qu’il existe un grand nombre de programmes de ce type – environ un quart de million. Pour comprendre ces stratégies, les chercheurs ont d’abord examiné quelques-unes des plus performantes. Étonnamment, ils ont découvert qu’elles faisaient essentiellement la même chose que la stratégie optimale, bien qu’elles utilisent moins de ressources.
« Nous avons été un peu déçus », explique Ma. « Nous avons passé tout ce temps à chercher ces petits programmes, et ils suivent tous le même calcul que les scientifiques savaient déjà déduire mathématiquement sans tous ces efforts. »
Mais les chercheurs ont continué à chercher, car ils avaient la forte intuition qu’il devait exister des programmes efficaces mais différents de la stratégie optimale. Après avoir regardé au-delà des meilleurs programmes, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient : environ 4 000 programmes qui entrent dans cette catégorie « assez bons ». Et, plus important encore, plus de 90 % d’entre eux proposaient quelque chose de nouveau.
Ils auraient pu s'arrêter là, mais une question d'un autre Janelien les a incités à poursuivre : comment pouvaient-ils déterminer quelle stratégie un animal utilisait ?
Cette question a incité l'équipe à étudier en profondeur le comportement des programmes individuels et à développer une approche systématique pour réfléchir à l'ensemble des stratégies. Ils ont d'abord développé une méthode mathématique pour décrire les relations entre les programmes via un réseau reliant les différents programmes. Ensuite, ils ont étudié le comportement décrit par les stratégies, en concevant un algorithme pour révéler comment l'un de ces programmes « suffisamment bons » pourrait évoluer à partir d'un autre.
Ils ont découvert que de petits changements apportés au programme optimal peuvent entraîner de grands changements de comportement tout en préservant les performances. Si certains de ces nouveaux comportements sont également utiles dans d’autres tâches, cela suggère que le même programme pourrait être suffisamment performant pour résoudre une gamme de problèmes différents.
« Si vous considérez qu’un animal n’est pas un spécialiste optimisé pour résoudre un seul problème, mais plutôt un généraliste qui résout de nombreux problèmes, c’est vraiment une nouvelle façon d’étudier cela », explique Ma.
Les nouveaux travaux fournissent aux chercheurs un cadre pour commencer à réfléchir au-delà des programmes uniques et optimaux pour le comportement animal. L’équipe se concentre désormais sur l’examen de la généralisation des petits programmes à d’autres tâches et sur la conception de nouvelles expériences pour déterminer quel programme un animal pourrait utiliser pour effectuer une tâche en temps réel. Ils travaillent également avec d’autres chercheurs de Janelia pour tester leur cadre théorique.
« En fin de compte, il est essentiel de bien comprendre le comportement d’un animal pour comprendre comment le cerveau résout différents types de problèmes, y compris certains que nos meilleurs systèmes artificiels ne résolvent que de manière inefficace, voire pas du tout », explique Hermundstad. « Le principal défi est que les animaux peuvent utiliser des stratégies très différentes de celles que nous supposons au départ, et ces travaux nous aident à découvrir cet espace de possibilités. »