Ces dernières années ont vu une montée en puissance de la pleine conscience, les formes de thérapie et les applications de méditation gagnant en popularité. Cependant, un philosophe de l’Université de Copenhague met en garde contre les hypothèses philosophiques non examinées et les potentielles simplifications excessives des pratiques de pleine conscience.
La thérapie de pleine conscience a gagné en popularité comme moyen d’aider les individus à faire face au stress, et de nombreuses personnes ont rapporté des bénéfices significatifs en la pratiquant. Cependant, les hypothèses philosophiques sous-jacentes à la pleine conscience doivent être examinées de manière critique et ne doivent pas être acceptées comme allant de soi.
Ces derniers temps, la pleine conscience, inspirée des traditions de méditation bouddhistes, a connu un regain de popularité significatif. Cela est évident dans son application dans les écoles, les soins de santé et les lieux de travail, où diverses thérapies ancrées dans la pleine conscience sont disponibles. De plus, des millions de personnes dans le monde téléchargent des applications de méditation comme Headspace et Ten Percent Happier.
De toute évidence, il existe une demande en matière de pleine conscience, et beaucoup trouvent de la valeur dans ses techniques. Cependant, Odysseus Stone, Ph.D., de l’Université de Copenhague, estime que bon nombre des hypothèses philosophiques sur les êtres humains et leur relation avec le monde sur lesquelles repose la pleine conscience sont assez douteuses et devraient être examinées attentivement.
« L’une des principales revendications de la pleine conscience est que nous devrions apprendre à considérer les pensées et les émotions qui vont et viennent dans l’esprit comme s’il s’agissait de nuages traversant le ciel. C’est une image que l’on retrouve souvent dans la littérature sur la pleine conscience. L’idée est que nous devons reconnaître nos pensées et nos émotions et les considérer comme des événements dans l’esprit, mais sans leur accorder d’importance ni passer trop de temps à nous en préoccuper. Et bien sûr, cela peut parfois avoir du sens. Considérez, par exemple, si vous devez faire une présentation au travail qui vous rend nerveux. Il peut alors être judicieux de pratiquer la pleine conscience en reconnaissant la nervosité, mais en essayant d’éviter de la laisser prendre trop de votre énergie », explique Odysseus Stone, qui vient de terminer sa thèse sur la pleine conscience, mais il ajoute également :
« Cependant, cela ne s’arrête pas là. En pleine conscience, cette notion est censée s’appliquer à toutes nos pensées et émotions, ou du moins la pleine conscience n’offre aucun moyen clair de tracer une ligne. Mais cela devient vite très problématique. Considérez nos convictions et nos attitudes profondément ancrées à l’égard de nous-mêmes, des autres et du monde social et politique qui nous entoure. Prenons, par exemple, les sentiments de colère que nous pourrions éprouver face aux décisions politiques du gouvernement danois. Est-il bénéfique de considérer de telles émotions comme si elles passaient dans le ciel avec peu d’importance ou de rapport avec la réalité ? Nous devons nous rappeler que nos pensées et nos sentiments forment notre perspective et nous ouvrent sur le monde. Ils ne peuvent et ne doivent pas tous être traités avec suspicion.»
Contrôlez votre (propre) attention
Toutes les grandes entreprises technologiques rivalisent pour attirer notre attention, qui est ainsi devenue l’une des matières premières les plus précieuses de ce que l’on appelle l’économie de l’attention. Pour Netflix, Facebook, Amazon ou Apple, il s’agit avant tout de nous faire passer notre temps limité sur leurs plateformes.
« L’attention est également un thème clé de la pleine conscience, où un certain nombre d’exercices qui entraînent les praticiens à contrôler leur attention sont souvent présentés comme une forme de solution à la surcharge d’informations à laquelle nous sommes exposés. Il s’agit avant tout de reprendre le contrôle, et c’est un élément central du traitement du stress inspiré de la pleine conscience. À bien des égards, cela est également judicieux. Nous connaissons tous le sentiment d’être très distrait à cause des technologies numériques », explique Odysseus Stone et précise :
«Mais je dirais que l’accent mis par la pleine conscience sur l’attention de l’individu fait que les problèmes sociaux structurels majeurs, tels que l’économie de l’attention, relèvent de l’individu plutôt que de quelque chose que nous devons résoudre ensemble. Cette critique a également été soulevée dans le contexte du stress au travail, où les salariés stressés se voient proposer un cours de pleine conscience plutôt que de modifier les conditions de travail. Dans les deux cas, les structures plus larges à l’origine des problèmes ne sont pas abordées par la pleine conscience.
Mais ce n’est pas le seul problème dans la façon dont la pleine conscience conçoit l’attention :
« En outre, nous pouvons également nous interroger sur la manière dont la pleine conscience perçoit l’attention elle-même. Souvent, l’attention est considérée comme un petit projecteur dans la tête de l’individu qui peut apprendre à être contrôlé. Toutefois, selon certains philosophes et spécialistes des sciences cognitives, cette image est totalement fausse. Notre attention dépend fortement de notre incarnation et s’inscrit dans un contexte matériel et social.
Pouvez-vous vivre dans le présent ?
Un élément tout aussi important du fondement philosophique de la pleine conscience est l’idée selon laquelle nous, les humains, passons beaucoup trop de temps à réfléchir sur le passé et l’avenir. Ces pensées nous empêchent de vivre dans le présent, sur lequel nous devrions plutôt concentrer notre attention. En général, nous devrions nous efforcer d’être présents dans nos vies ici et maintenant.
« C’est une idée à laquelle souscrivent beaucoup d’autres que les praticiens de la pleine conscience. Souvent, elle repose sur l’idée philosophique selon laquelle le moment présent est particulièrement réel ou fondamental, ou du moins plus réel que le passé et le futur. De ce point de vue, notre perception de nous-mêmes en tant qu’êtres dotés d’un passé et d’un avenir – notre perception « narrative » de nous-mêmes – repose sur une sorte d’erreur.
Cependant, il n’est pas évident non plus que nous devrions accepter cette idée. D’une part, nos récits donnent un sens et une structure à nos vies. Il n’est pas clair qu’elles soient simplement irréelles ou erronées. D’un autre côté, si nous demandons : « Qu’est-ce exactement que ce moment pur ou présent absolu qui est censé être particulièrement réel ? », il est très difficile de répondre. Si nos expériences et nos actions doivent être cohérentes et avoir un sens pour nous, elles devront faire référence à notre passé et à notre avenir d’une manière ou d’une autre.