Le Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU) se réunit cette semaine après une campagne médiatique de plusieurs mois menée par la diaspora arménienne autour de la question de la route de Lachin. La route de Lachin fait partie intégrante du territoire de l’Azerbaïdjan qui relie le corps principal de l’Arménie à la région encore inoccupée de l’ancien Karabakh. Le point culminant le plus récent de cette campagne médiatique est le récent avis publié par Luis Moreno Ocampo, le premier procureur de la Cour pénale internationale (CPI).
L’opinion d’Ocampo répète les affirmations, propagées par la diaspora arménienne pendant des mois, selon lesquelles l’Azerbaïdjan est en train de perpétrer un génocide contre les Arméniens de souche au Karabakh. Il est assez surprenant qu’il se réfère au « président » de « l’Artsakh », le nom arménien de la soi-disant « République du Haut-Karabakh » qui, pendant vingt ans, a affirmé sa souveraineté non seulement sur le Karabakh mais aussi sur sept régions administratives indépendantes du Haut-Karabakh. Azerbaïdjan.
Aucun pays au monde, pas même l’Arménie elle-même, n’a jamais reconnu la « République du Haut-Karabakh ». Depuis la fin de la deuxième guerre du Karabakh en novembre 2020, le responsable d’Erevan, dont Nikol Pashinyan en tant que Premier ministre, a fait de multiples déclarations publiques reconnaissant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, y compris sur l’ensemble de la région du Karabakh. Le Conseil de sécurité de l’ONU a fait une telle reconnaissance il y a trente ans à travers quatre résolutions adoptées alors que les hostilités militaires d’origine étaient toujours en cours.
Début juillet de cette année, la Cour internationale de justice (CIJ) a rejeté l’allégation arménienne que l’opinion d’Ocampo suppose fondamentalement vraie. L’Arménie avait allégué que l’Azerbaïdjan entravait la circulation le long de la route en établissant des points de contrôle militaires. Il s’agissait d’une référence à l’exercice par l’Azerbaïdjan de son droit en vertu du droit international d’établir un poste frontière sur la route de Lachin non loin de l’endroit où elle passe de l’Azerbaïdjan à l’Arménie. Selon de nombreuses preuves vidéo publiées sur les réseaux sociaux, des Arméniens de souche de la zone non désoccupée d’Azerbaïdjan traversent quotidiennement ce poste frontière sans problème.
Depuis plus de vingt ans, le passage sur la route de Lachin n’était pas contrôlé. Par son intermédiaire, les forces armées de la République d’Arménie – la Cour européenne des droits de l’homme ayant conclu en 2015 qu’il ne s’agissait pas des forces de la soi-disant « République du Haut-Karabakh » – avaient renforcé et réapprovisionné ses troupes qui continuaient d’occuper Territoire souverain de l’Azerbaïdjan. On les estime aujourd’hui à une dizaine de milliers. De nombreuses photographies de satellites et de drones dans le domaine public établissent sans aucun doute que les transferts de personnel et de matériel par la partie arménienne se sont poursuivis après la cessation des hostilités en novembre 2020.
Les forces de la République d’Arménie y ont non seulement fourni leurs troupes et renforcé d’anciennes installations militaires, mais elles en ont également construit de nouvelles. Tout cela s’est déroulé sous les yeux, et même avec la connivence active, des soi-disant casques bleus déployés là-bas par la Russie en accord avec la déclaration trilatérale de novembre 2020, négociée à Moscou, qui a mis fin aux hostilités militaires de la Seconde Guerre du Karabakh.
La CIJ, dans son rejet de la requête concernant la route de Lachin du gouvernement arménien en juin, a noté des incohérences dans la soumission de l’Arménie, a conclu que rien n’avait changé sur le terrain et n’a fait aucune nouvelle découverte. En particulier, elle n’a pas conclu que l’Azerbaïdjan n’avait pas respecté sa propre ordonnance antérieure ou avait autrement violé le droit international.
Il convient de répéter que l’opinion d’Ocampo traite comme des faits les prétentions arméniennes que la CIJ a rejetées comme manquant de base factuelle. Ocampo attise la situation en assumant, sans même prétendre apporter la moindre preuve, l’intention de génocide (légalement définie comme « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel ») sur de la part du gouvernement azerbaïdjanais. Le manque de sérieux d’Ocampo est souligné par des allégations non fondées concernant la responsabilité pénale individuelle alléguée du président azerbaïdjanais personnellement.
Il y a quatre résultats possibles à une session extraordinaire du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) sur cette question. La première est l’adoption d’une résolution officielle, qui aurait force de loi internationale. Cela nécessiterait des votes affirmatifs de neuf des quinze membres actuels du CSNU et l’absence de veto de l’un des cinq membres permanents. La seconde est l’adoption d’une déclaration sur le « sens du Concile ». Cela nécessiterait un consensus unanime des quinze membres actuels et ne serait pas contraignant en vertu du droit international. La troisième est une déclaration unilatérale de la présidence du Conseil, occupée ce mois-ci par les États-Unis. Le quatrième est l’absence de toute action de fond. Le dernier d’entre eux serait le plus constructif. N’importe lequel des trois autres menace le processus. Examinons-les tour à tour.
- Une résolution est l’expression formelle de l’opinion ou de la volonté du CSNU. Pour qu’une résolution soit adoptée, elle requiert le vote affirmatif d’au moins neuf des 15 membres, y compris les voix concordantes des cinq membres permanents (sauf si un ou plusieurs d’entre eux s’abstiennent ou sont absents). Cela semble peu probable, car l’Azerbaïdjan est un ancien président en exercice très respecté du Mouvement des non-alignés (NAM), et il y a actuellement suffisamment de membres du NAM au CSNU pour refuser les neuf voix nécessaires à une résolution.
- Une motion Sense of the Council est une expression moins formelle et non contraignante de l’avis du CSNU ; cependant, il requiert le consentement unanime. Il n’est pas certain que chaque membre NAM du Conseil s’abstiendrait de s’y opposer. Cela dépendrait de la dynamique politique de pouvoir entre chacun d’eux individuellement et chacun des membres permanents.
- Une déclaration unilatérale est faite par le président du CSNU et signifie que le pays qui est président exprime une opinion sans le soutien total de tous les membres du CSNU. Pour le mois d’août, les États-Unis sont président du Conseil de sécurité. Il serait étrange que les États-Unis fassent une telle déclaration, car le secrétaire d’État Antony Blinken a investi tant d’efforts et de prestige personnel dans les véritables succès diplomatiques obtenus jusqu’à présent.
Mais la mission américaine auprès des Nations Unies à New York a parfois été une sorte d' »opérateur indépendant » de la diplomatie américaine, depuis que le président John F. Kennedy a nommé Adlai Stevenson le représentant permanent du pays (le nom technique du chef de mission auprès d’un organisation internationale) et lui donner exceptionnellement rang de Cabinet. Que le représentant permanent des États-Unis – qui a généralement le « rang » d’ambassadeur au sein du département d’État – soit ou non membre du Cabinet dépend de la décision du président. La plupart des présidents du Parti démocrate, mais pas tous, ont suivi Kennedy.
L’actuelle représentante permanente des États-Unis, Linda Thomas-Greenfield, fait partie du Cabinet. Cela signifie qu’il est probable qu’elle n’ait pas à faire rapport au Bureau des affaires des organisations internationales du Département d’État. Cela signifie que sa relation avec Blinken, et la relation de sa mission avec ses efforts de paix, n’est pas subordonnée.
Cela soulève à son tour la possibilité que sa mission puisse agir contre ces efforts. Ce qu’il révèle, c’est que la diaspora arménienne, qui a inspiré la campagne de plusieurs mois qui culmine maintenant à New York, essaie d’utiliser la Mission permanente des États-Unis auprès des Nations Unies pour faire une « course finale » autour du Département d’État et autour du Secrétaire d’État personnellement. Une comparaison des déclarations publiques passées de différents membres de la mission américaine suggère qu’il peut même y avoir des divisions subtiles sur cette question au sein de la mission elle-même.
- Le meilleur résultat de toute cette procédure serait l’absence de toute résolution, motion ou déclaration formelle. Même une déclaration unilatérale des États-Unis en tant que président du CSNU saperait tous les progrès de l’année dernière, pour des raisons évidentes. Cela embarrasserait gravement le secrétaire d’État Blinken. Comme il coordonne ses efforts avec ceux de Charles Michel, qui a eu de nombreuses rencontres avec Pashinyan et Aliyev à Bruxelles, cela torpillerait aussi les initiatives constructives de Michel.
Toute la campagne de relations publiques autour du Karabakh, qui culmine maintenant avec la session spéciale du CSNU, travaille dans l’intérêt de la Russie, de l’Iran et de la France. Depuis son indépendance au début des années 1990, l’Arménie est un État client (certains disent un État vassal) de la Russie et un allié de l’Iran, où le complexe militaro-industriel a accéléré sa pénétration de l’industrie arménienne depuis la fin de la Seconde Guerre du Karabakh. en novembre 2020. Quant à la France, l’Arménie n’est qu’un instrument à utiliser contre la Turquie, avec laquelle elle entretient depuis longtemps des conflits de sphère d’influence en Afrique du Nord, en Méditerranée orientale et maintenant dans le Caucase du Sud.
Robert M. Cutler est un ancien membre de l’Institut canadien des affaires mondiales.