Le 23 juillet, 14 partis palestiniens ont conclu un accord pour un gouvernement de front uni après la fin de la guerre. L’accord de Pékin offre apparemment une solution à la question du gouvernement d’après-guerre à Gaza. Le Hamas, malmené depuis plusieurs mois, avait déclaré auparavant qu’il ne pouvait plus diriger le gouvernement seul. La proposition américaine de faire prendre le pouvoir au Fatah semblait également improbable, car le Fatah ne peut se permettre de prendre le relais sans encourir l’accusation de suivre les traces de l’alliance américano-israélienne. La Chine est intervenue, en tant que grande puissance alternative jouissant d’une meilleure crédibilité que les Américains auprès des Palestiniens et négociant un accord d’unité nationale. Le plan de Pékin qui réunit le Fatah et le Hamas est désormais un concurrent direct du plan émirati de mettre en place une mission internationale temporaire qui n’inclurait ni le Fatah ni le Hamas.
Comme on pouvait s’y attendre, l’accord de Pékin s’est accompagné d’une escalade militaire contre Israël sur tous les fronts. Le soir du 28 juillet, le Hezbollah a lancé une salve de roquettes Katioucha et Falaq sur le Golan, tuant plus de 10 enfants sur un terrain de sport de la ville druze de Shams Abdal. Les Houthis ont progressivement intensifié leur utilisation de missiles balistiques, visant la partie sud d’Israël. L’Iran a de nouveau menacé de bloquer les côtes israéliennes. Le dirigeant syrien Bachar al-Assad s’est rendu à Moscou pour discuter d’un rapprochement avec la Turquie et de la recherche d’une protection contre une escalade régionale. La Russie a mis en garde Israël contre les conséquences de cette escalade.
L’escalade récente sur tous les fronts est une action coordonnée visant à contraindre Israël à un cessez-le-feu. L’élément essentiel de la chaîne des événements est l’accord d’unité conclu à Pékin, qui garantit désormais la survie politique du Hamas, bien que blessé et en mauvaise posture, et qui résout le problème de légitimité du Fatah à Gaza. Un cessez-le-feu est désormais réalisable pour la partie palestinienne, car les parties ont réussi à trouver un terrain d’entente. Le rassemblement de 14 partis est une démonstration de force efficace pour écarter les protagonistes anti-Fatah du plan émirati.
Du point de vue d'Israël, l'accord de Pékin constitue un revers politique, car sa prétention à contrôler militairement Gaza pour une durée indéterminée a désormais moins de poids, étant donné qu'un gouvernement d'unité nationale des et pour les Palestiniens est en train de se former pour prendre les rênes du pouvoir. L'accord mettra également à l'épreuve la détermination d'Israël à tenir le Hamas à l'écart du gouvernement. Le succès de l'accord de Pékin donnera à Israël une forte impulsion pour prendre beaucoup plus au sérieux les pourparlers du « lendemain » avec les États-Unis et les États arabes du Golfe, la situation étant devenue une course contre la montre.
Sur le plan international, l’isolement croissant d’Israël apparaît comme un facteur majeur. Dans son discours au Congrès, Benjamin Netanyahou a souligné à plusieurs reprises la nécessité d’un soutien continu et indéfectible des États-Unis à l’effort de guerre d’Israël. Il a tenté de faire comprendre à l’auditoire américain que la guerre n’est pas uniquement le fait d’Israël et qu’elle a un impact direct sur les États-Unis et leur lutte contre le terrorisme. Malgré l’accueil enthousiaste réservé à Netanyahou au Congrès, la vérité est qu’Israël est aujourd’hui plutôt isolé face à l’alliance puissante et multicéphale dirigée par l’Iran, renforcée par le soutien militaire et diplomatique de la Chine et de la Russie.
Les relations entre Israël et l’Occident sont entrées dans une période tumultueuse. L’Europe est préoccupée par la guerre en Ukraine et même si ce n’était pas le cas, le soutien national à Israël dans les pays européens est loin d’être unanime. Certains pays européens ont diplomatiquement reconnu l’État palestinien. Le nouveau gouvernement travailliste au Royaume-Uni a relancé le transfert de fonds à l’UNRWA et a soutenu l’émission par la Cour pénale internationale de mandats d’arrêt contre Netanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant. Même le gouvernement américain actuel n’a soutenu Israël que de manière conditionnelle, cherchant à équilibrer son engagement envers la sécurité israélienne avec des contraintes politiques intérieures : faire pression pour un cessez-le-feu, appeler à la retenue et imposer des restrictions sur les transferts d’armes. Le fait que 2024 soit une année électorale et qu’un électorat pro-palestinien assez important soutienne le Parti démocrate au pouvoir a compliqué le scénario. Il n’est pas étonnant que Netanyahou ait lié les manifestants anti-israéliens qui se déchaînent aux États-Unis au parrainage iranien, car les manifestations repoussent constamment la ligne rouge du soutien du gouvernement américain à Israël. La distance croissante entre le gouvernement américain et Israël va encourager l'axe anti-israélien à intensifier la guerre et à repartir avec un meilleur accord. La véritable valeur des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre est en train d'être démontrée, créant démoralisation et division au sein d'Israël et servant de monnaie d'échange efficace pour la survie du Hamas.
L'unité palestinienne, la participation russe croissante et l'entrée de la Chine, combinées à l'éloignement croissant d'Israël de l'Occident et à son isolement international, ont momentanément fait pencher la balance en faveur de l'axe anti-israélien. Encouragé par l'accord de Pékin, l'axe régional anti-israélien a accéléré le rythme avec l'intention d'imposer des coûts plus élevés à Israël pour le pousser dans ses retranchements et obtenir un cessez-le-feu.
Mais ce calcul se déroulera-t-il comme prévu ? L'attaque à la roquette du Hezbollah sur le Golan entraînera presque certainement de violentes représailles israéliennes, ce qui pourrait déclencher une guerre au Liban. De plus, Israël a la fâcheuse habitude de renverser la situation dans les circonstances les plus défavorables, comme lors des guerres de 1967 et 1973. Cependant, il ne fait aucun doute que les capacités militaires et politiques d'Israël seront soumises à leur plus grande épreuve depuis 1973. Un facteur à surveiller sera celui des États arabes du Golfe, largement rendus insignifiants depuis le 7 octobre, mais qui ont retrouvé leur importance diplomatique après l'accord de Pékin en tant que rivaux influents sur la forme de la paix « le jour d'après ».