La science est un effort collaboratif. Nos connaissances actuelles témoignent d’innombrables générations de scientifiques qui ont développé les travaux de ceux qui les ont précédés.
Pourtant, dans le monde universitaire contemporain, le paysage devient extrêmement compétitif, souvent au détriment des chercheurs individuels. Cela est particulièrement difficile pour les professionnels en début de carrière qui s’efforcent d’établir leur réputation et d’obtenir leur titularisation. Les chercheurs d’aujourd’hui se retrouvent souvent dans une course aux citations, aux distinctions et aux financements.
Il est donc compréhensible que de nombreux scientifiques soient de moins en moins disposés à coopérer et à aider leurs pairs en partageant leurs travaux. Ils « cacheraient » leurs données brutes, même si leur collecte a nécessité des années d’efforts. Ils dissimuleraient également des expériences qui ont échoué ou se sont révélées insignifiantes. Toutes ces pratiques auraient alors pour conséquence que différentes équipes perdraient un temps précieux à mener les mêmes études inutiles, plutôt que de progresser davantage et de contribuer à la connaissance du monde.
Entre-temps, ces dernières années ont été témoins d’une poussée mondiale croissante en faveur d’une science ouverte : un mouvement qui défend et célèbre un vaste ensemble de bonnes pratiques fondées sur la transparence, la collaboration et le partage.
C’est pourquoi une équipe allemande de psychologues sociaux du LMU Munich et de l’Université de Marburg a mené une série d’études avec des scientifiques de toute l’Europe et d’Amérique du Nord, afin de découvrir ce qui pousse les chercheurs à cacher leurs connaissances à leurs collègues. Leurs résultats ont été récemment publiés dans la revue scientifique à comité de lecture en libre accès Social Psychological Bulletin.
« La dissimulation des connaissances est problématique, non seulement pour l’économie privée mais aussi pour le monde universitaire. On pourrait dire que les connaissances cachées dans le domaine scientifique sont encore plus problématiques, car la science devrait se résumer à l’acquisition, à l’examen et à la diffusion des connaissances », expliquent les auteurs de l’étude.
« Si les scientifiques étaient enclins à cacher ce qu’ils savent à leurs pairs, alors l’accumulation de connaissances scientifiques serait impossible et, au lieu de maximiser l’effort collectif pour découvrir la vérité, la science produirait simplement des effets uniques sans lien, isolés et probablement non reproductibles. »
Selon leurs découvertes, un trait de personnalité spécifique appelé « sensibilité à la victime » prédisait les connaissances cachées dans la science. Les chercheurs présentant ce trait de personnalité se caractérisent par une peur latente d’être exploités par d’autres et se méfient donc davantage de leurs collègues.
L’équipe de recherche a également testé si le fait de rappeler aux participants leur identité de « chercheur » pouvait aider ou entraver la collaboration. Leur motivation à observer l’impact de cette approche est liée à des études antérieures, qui ont montré que les gens ont tendance à privilégier ceux appartenant à leur propre groupe.
Étonnamment, cependant, lorsque les participants à l’une des études ont activé leur sentiment d’identité en tant que « chercheurs », ils sont devenus plus méfiants et prêts à cacher leurs connaissances. Une explication à cela serait que le fait de rappeler qu’on est un « chercheur » a activé un auto-stéréotype obstructif : un chercheur est une personne très ambitieuse, mais froide, plutôt que bienveillante et coopérative.
La bonne nouvelle, soulignent les auteurs de l’étude, est que – parmi les participants – l’intention de cacher leurs connaissances était plutôt faible.
Les auteurs mettent cependant en garde contre un biais potentiel. Il est probable que les chercheurs qui se sont portés volontaires pour participer à ces études se sont montrés plus coopératifs au départ. De plus, il se pourrait que dans le contexte de l’auto-évaluation, les participants aient essayé de se présenter comme plus sympathiques.
« Nous devrons peut-être changer la façon stéréotypée dont nous nous percevons en tant que chercheurs, afin d’instaurer la confiance et de créer un environnement de partage entre les scientifiques », conclut l’équipe de recherche.
« S’identifier en tant que chercheur doit inclure le fait d’être coopératif, orienté vers les autres et digne de confiance : une identité sociale qui défend le partage des connaissances – et non la dissimulation des connaissances. »