« Instinct de soeurvie », c’est l’histoire d’une splendide maison en banlieue parisienne dans laquelle vit une famille bien sous tout rapport, un couple parfait avec leurs deux enfants et le labrador pour compléter ce tableau impeccable. Parce qu’ils sont si généreux, ils accueillent des enfants placés. C’est au tour de Safiya et Lina de les découvrir… Attention histoire vraie…
Issues.fr : Vous avez décidé d’écrire votre livre « Instinct de soeurvie » pour raconter en détails ce que vous avez subi lors de votre placement en famille d’accueil lorsque vous n’étiez que des petites filles, racontez-nous, que nos lectrices et lecteurs comprennent la gravité de la situation, ce que vous avez enduré durant trois longues années ?
Safiya : Bonjour à tous les lecteurs de « Issues.fr » ! Alors, lorsque que j’avais tout juste 4 ans et ma soeur 6ans,nous avons été placées dans une famille d’accueil qui nous a fait subir durant 3 ans des tortures et actes de barbarie.
C’était des enfermements dans la cave sans explication. Monique, notre « mère d’accueil » a cherché à rendre folle ma soeur et moi, elle m’a gavée à l’entonnoir comme une oie… Elle me plaçait l’ustensile dans la gorge et le remplissait de nourriture. Elle tentait de nous noyer à l’eau glacée dans la douche avec l’aide de son mari. Et encore bien d’autres sévices qui sont bien trop nombreux pour que je les énumère ici en une phrase.
Issues.fr : Ce que vous dites est glaçant, et les passages du livre sont encore plus déchirants et insoutenables. Et si on revenait au commencement, vous dites dans votre livre, preuves à l’appui par des documents des services sociaux, que les causes de votre placement étaient insuffisantes, vous parlez de placement abusif ?
Safiya : Aujourd’hui les seules raisons que nous a fournies l’organisme de placement sont l’absentéisme et la vulgarité donc si ce sont les seules reproches faits à notre mère alors oui je considère qu’il s’agit d’un placement abusif, après libre à chacun de se faire sa propre opinion à ce sujet.
Issues.fr : Durant votre placement, vous écrivez que vous n’avez eu aucun contrôle ? Pas même un contrôle sur rendez-vous ? Vous n’avez jamais pu parler avec une assistante sociale ou une personne adulte en dehors de cette Monique ? Personne ne s’est aperçu de rien ? A l’école ? Durant vos activités extrascolaires ? Le psy ?
Safiya : Nous n’avons strictement aucun souvenir de contrôle au domicile de Monique que ce soit sur rdv et encore moins inopinément. Il pouvait nous arriver de rencontrer des personnes des services sociaux lors des fêtes de fin d’année par exemple où tous les employés et enfants étaient réunis. Nos activités extra scolaires ont duré très peu de temps. Ma soeur a parlé une fois à la psy qui a répété aussitôt les choses à Monique.
Cependant nous avons appris très récemment via un document officiel, signé et tamponné par l’organisme de placement que finalement nous avions tenté de parler mais cela n’a pas été pris au sérieux. Donc il n’y a pas eu de suites à nos tentatives d’appel au secours et je pense que c’est pour cela qu’on n’a plus voulu du tout en parler par la suite .
Issues.fr : Durant la seconde moitié de votre livre, vous expliquez que votre quotidien est encore rythmé par vos traumatismes, même trente ans plus tard, toutes les deux. A quelles séquelles êtes-vous confrontées ? Comment faites-vous au quotidien ?
Safiya : Effectivement plus de 30 ans après les séquelles sont encore bien présentes et plus que jamais j’ai envie de dire! Nous sommes confrontées toutes les deux à des angoisses et des phobies quotidiennes.
Nous avons développé des troubles alimentaires tels que phagophobie et pour ma part j’ai une espèces de ride à l’intérieur de la gorge, certainement causée par les nombreux gavages à l’entonnoir que j’ai subis durant ces 3 années. J’ai une dysphagie également et des spasmes nerveux dans ma gorge, du coup manger normalement est impossible pour ma soeur et moi. Pour ma soeur, il faut manger de très petites bouchées, mâcher pendant plusieurs minutes et moi je mixe et transforme en purée tout ce que je mange.
Au quotidien, on essaye tant bien que mal de gérer tout ça comme on peut. Chaque jour est différent. On ne sait jamais comment on va se lever le matin c’est à dire angoissées ou non et on apprend à vivre avec.
Issues.fr : Avec votre expérience et selon vous, comment les enfants peuvent-ils se faire entendre ? Y a-t-il des solutions qui pourraient être mises en place ou la parole d’un enfant sera toujours diminuée voire discréditée devant celle de l’adulte ?
Safiya : La seule solution pour que les enfants se fassent entendre c’est tout d’abord d’enfin considérer la parole des enfants placés. Ce ne sont pas des sous enfants qui ont moins d’importance dans la société et au contraire ils sont déjà dans une situation compliquée donc il est important de leur apporter toute la considération qu’ils méritent. Ensuite je pense qu’il y a clairement de gros manquements au niveau des contrôles car quand vous entendez la majorité des personnes anciennement placées nous tenons tous le même discours. En l’occurrence qu’il n’y a pas de contrôle et je me suis même renseignée auprès des familles d’accueil qui le confirment et le déplorent.
Jusqu’à présent la parole des enfants n’a pas assez de poids face à celle de l’adulte. L’adulte a toujours raison dans ce milieu et il est temps de prendre en compte la parole de l’enfant autant que de son accueillant.
Issues.fr : En vous lisant, on apprend que d’autres enfants ont été placés avec vous, soit avant, soit à la fin, mais vous n’avez pas été les seules. Y a-t-il eu des procédures judiciaires lancées ? Vous-mêmes avez-vous entamé quelque chose ?
Safiya : Nous avons côtoyé en tout 3 enfants dont un frère et sa sœur et un jeune enfant Arnaud qui est arrivé peu de temps avant notre départ. Lui a lancé une procédure pour laquelle nous avons été entendues ma soeur et moi comme témoins Mais malheureusement un non lieu a été prononcé à l’encontre de Monique malgré les nombreuses preuves. Cela reste une énigme et nous concernant une plainte a été déposée en 2019 et nous sommes toujours en attente.
Récemment, j’ai revu Arnaud, j’ai partagé cette rencontre sur Instagram. C’était un moment très émouvant. Je l’avais tellement attendu.